Tony Allen, l’esprit frappeur de l’Afrobeat

(Ecofin Hebdo) - Tony Allen, l’autre père de l’Afrobeat, est décédé à Paris, 23 ans après son compère Fela, laissant ce style musical désormais orphelin de ses deux créateurs. Le batteur qui avait quitté le légendaire chanteur à cause d’un style de vie qui ne lui convenait plus, a donné toute sa vie à la musique.

Le 30 avril dernier, la musique africaine a certainement perdu le plus grand batteur de son histoire. Tony Allen, l’ancien directeur musical de Fela Kuti est décédé à Paris à l’âge de 79 ans. Parti aussi brutalement qu’il est arrivé dans le monde de la musique, cet Ovni avait aidé son compatriote à créer le légendaire Afrobeat. Après 80 albums, 50 années de carrière et un impact inoubliable, Tony Allen a été emporté par un malaise alors qu’il était en pleine forme selon son manager. Effectivement, Tony Allen semblait destiné à ne jamais s’arrêter de jouer. En mars dernier, il avait sorti Rejoice qui sera au final, son ultime album.

Un batteur qui en valait quatre

Pour le musicien et producteur britannique Brian Eno, « Tony Allen est peut-être le plus grand batteur ayant jamais vécu ». Pourtant, la batterie aurait pu ne jamais croiser le chemin du Nigérian né le 20 juillet 1940 à Lagos.

En effet, fan notamment de Dizzy Gillespie et de Charlie Parker, cet amateur de Jazz a écumé durant son adolescence les boites de nuit, puis les concerts durant lesquels finalement à 18 ans, il est envouté par le rythme des batteries plutôt que par les notes enflammées du saxophone. « Dans chaque concert, seul le batteur m’intéressait. Fasciné, je ne regardais que ce musicien tentaculaire qui jouait de ses quatre membres, ce magicien de la bande entouré de ses fûts, qui jetait de ses baguettes des sorts et des rythmes », confie-t-il poétique, avec des étoiles dans les yeux.

« Dans chaque concert, seul le batteur m’intéressait. Fasciné, je ne regardais que ce musicien tentaculaire, qui jouait de ses quatre membres, ce magicien de la bande, entouré de ses fûts, qui jetait, de ses baguettes, des sorts et des rythmes ».

Il décide alors d’apprendre à jouer de la batterie, seul. « J'ai appris en huit mois. La première fois que je me suis assis devant une batterie, c'est venu tout de suite. J'ai utilisé le potentiel que j'avais en moi : j'avais les dieux avec moi », déclare-t-il quelques décennies plus tard. Inspiré par le batteur de jazz américain Franck Butler, il s’entraine chaque matin en faisant rebondir ses baguettes sur des oreillers, pour travailler sa flexibilité.

Autodidacte, il réussit à griller les étapes, passant du niveau d’amateur à celui de professionnel en partageant son temps entre sa passion et son travail dans une radio locale. Il est si doué que lorsqu’en 1964, Fela Kuti, fraîchement revenu de cinq années d’études à Londres, recherche désespérément un batteur, le nom de Tony Allen lui est soufflé à de nombreuses reprises. Fela décide alors de l’auditionner. « Il avait testé quasi tous les batteurs du pays, et aucun ne lui convenait… jusqu’à ce que quelqu’un lui demande : as-tu essayé Tony ? Ça a fonctionné », raconte Tony Allen.

« Il avait testé quasi tous les batteurs du pays, et aucun ne lui convenait. Jusqu’à ce que quelqu’un lui demande : as-tu essayé Tony ? Ça a fonctionné »

Fela est séduit par la musique du batteur qui est si doué que le chanteur décide de ne pas engager d’autre percussionniste. D’ailleurs, lors de leur séparation, il avoue avoir dû engager 4 batteurs pour que sa musique reste comme elle était quand Tony Allen jouait pour lui. Ensemble, les deux hommes créent un cocktail musical hypnotique fait d’un mélange du style highlife, de la polyrythmie yoruba, de jazz et de funk. Alors que le rythme commence à être connu, les deux amis se rendent aux États-Unis en 1969. Partis pour découvrir la musique afro-américaine, ils sont également frappés par le combat des Noirs pour obtenir le respect de leurs droits. Entre les discours de Martin Luther King et de Malcolm X, les Black Panthers et autres figures de proue des luttes afro-américaines, Fela Kuti et Tony Allen se politisent, le premier beaucoup plus que le second.

Dissensions, séparation et déception

Grâce à l’énergie revendicatrice côtoyée aux Etats-Unis, Fela Kuti et Tony Allen apportent la touche finale à leur style musical : l’Afrobeat est né. Fela, plus politisé que jamais, se sert de sa musique pour dénoncer les problèmes politiques du pays. Les autorités grincent des dents, mais Fela Kuti, Tony Allen et leur groupe Africa 70 font danser l’Afrique et le monde. Seulement, à la fin des années 70, des tensions vont naitre dans le groupe. Tony Allen est frustré de ne pas recevoir la part de reconnaissance qu’il mérite pour la création de l’Afrobeat, lui qui est pourtant l’inventeur de tous les rythmes qui sous-tendent cette musique.

Tony Allen est frustré de ne pas recevoir la reconnaissance qu’il mérite dans la création de l’Afrobeat. Pourtant il est l’inventeur de tous les rythmes qui sous-tendent cette musique.

De plus, il ne perçoit pas pendant longtemps les revenus générés par les droits d’auteurs sur ses rythmes. Mais ce qui sonnera le glas de la collaboration entre les deux amis sera plutôt le changement de Fela sur le plan personnel. Plus sulfureux que jamais, le chanteur mène une vie que Tony Allen ne comprend pas, entre alcool, drogue, femmes et descentes policières régulières. Les hommes politiques du pays n’hésitaient plus à faire tabasser et enfermer un Fela Kuti de plus en plus gênant. Pour Tony Allen, le groupe s’éloignait progressivement de la musique et Fela devenait négligent sur ses fréquentations. « Qu'est-ce qui me fait décider qu'il est temps de partir ? C'est toute sa négligence... comme s'il ne savait ou ne se souciait de rien. Il y avait trop de parasites autour du groupe. En tournée, nous partions avec 71 personnes alors que seulement 30 travaillaient vraiment avec nous. Il ne remarquait pas que ces gens étaient en train de saper sa force. J’ai alors décidé de partir à la recherche de mon propre son », explique Tony Allen. Le batteur quitte le groupe pour se lancer dans une carrière solo. Il forme sa propre troupe et fait quelques scènes à Lagos avant de partir pour Londres.

« En tournée, nous partions avec 71 personnes alors que seulement 30 travaillaient avec le groupe. Il ne remarquait pas que ces gens étaient en train de saper sa force. J’ai alors décidé de partir à la recherche de mon propre son »

« Quand j’ai arrêté de jouer avec Fela et que je suis parti en Europe, d’abord à Londres, on m’a demandé de faire une musique formatée, robotique, qui suivait la mode ou qui répétait ce que j’avais déjà réalisé. C’est quelque chose que je n’ai pas supporté. Pendant plus de quinze ans, je n’ai presque plus rien enregistré », confie-t-il.

‘’Presque’’ parce que le Nigérian collabore toutefois avec Manu Dibango et Ray Lema. Dans cette période un peu sombre, il prend du temps pour lui, déconstruit l’Afrobeat, mélange ses rythmes avec de l’electronica, du dub, du R&B et du Rap. Il appelle cette musique l’Afrofunk et retrouve un second souffle en s’y épanouissant.

Il s’exile alors à Paris où il gagnera son surnom de « sorcier du rythme ». Au sein de la capitale française, Tony Allen relance sa carrière. Il signe avec le label Comet fondé par son ami Eric Trosset et sort Black Voices (1999) où il présente au monde son Afrofunk.

Il s’exile alors à Paris où il gagnera son surnom de « sorcier du rythme ». Au sein de la capitale française, Tony Allen relance sa carrière. Il signe avec le label Comet fondé par son ami Eric Trosset et sort Black Voices (1999), où il présente au monde son Afrofunk.

Eclectique, Tony Allen va collaborer avec des stars de la pop européenne, américaine, avec la diva du disco Grace Jones. Après ses pérégrinations, le batteur revient aux sources avec un nouveau label sur l’album Lagos No Shaking. Aux côtés d’artistes nigérians, il se rappelle au souvenir de ses premiers amours, avant d’exposer à nouveau les résultats de sa longue quête musicale. Home Cooking, The Good, the Bad and the Queen, Rocket, Juice and the Moon, etc., les albums s’enchainent et attirent des stars comme Flea, le bassiste des Red Hot Chili Peppers. Puis sort Film of life (2014), album rétrospectif d’une pop lascive et minimale.

A Paris et pour le monde entier, Tony Allen brille de mille feux en tant que sorcier du rythme, alchimiste de l’Afrobeat, prêtre de l’Afrofunk. Son dernier album Rejoice, sorti en mars dernier, le présente dans une collaboration presque hors du temps avec le défunt saxophoniste Hugh Masekela. Pour ce qui sera son dernier album, Tony Allen était à nouveau revenu vers ses racines africaines. D’ailleurs, il ne les a jamais oubliées.

« P-Square ? Wizkid ? Davido ? Ce n’est pas de la musique, c’est du business, du divertissement. Il n’y a aucune créativité dans ce qu’ils font : ils suivent seulement une tendance et copient les sons américains. »

Il n’hésite pas à reprendre la jeune garde musicale de son pays, certainement pour l’aider à s’améliorer. « P-Square ? Wizkid ? Davido ? Ce n’est pas de la musique, c’est du business, du divertissement. Il n’y a aucune créativité dans ce qu’ils font : ils suivent seulement une tendance et copient les sons américains. Mais ils seront toujours un cran en dessous. C’est pour ça que personnellement, je n’ai pas voulu faire une carrière de jazzman, je savais que la copie serait toujours moins bonne que l’original. Ce qui m’énerve le plus, c’est qu’ils se collent l’étiquette ‘’afrobeat’’. Pour moi, ça n’a aucun lien avec ce que nous avons fait », admoneste l’esprit frappeur de l’Afrobeat nigérian.

Au final il aura vécu comme il l’entendait, ne laissant personne, pas même une immense légende comme Fela, le retenir dans sa quête musicale et personnelle. Et ça, Tony Allen le savait. C’est peut-être pour ça que ses dernières paroles ont été : « J’ai vécu la vie que je me suis choisie ».

 

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