Mory Kanté : « A partir du moment où ma musique plaît aux gens de mon village… »

(Ecofin Hebdo) - Comme tous les musiciens africains émergeant sur la scène internationale, le monde a voulu faire de lui un griot. Etonnamment, son héritage culturel et sa Kora s’y prêtaient. Mais, heureusement, Mory Kanté n’aimait pas être enfermé dans une case. De sa voix, de son talent, aux multiples instruments qu’il a maitrisés durant sa vie, Mory Kanté a écrit son histoire et gravé son nom au panthéon de la musique africaine.

Le 22 mai dernier, Mory Kanté est mort. La musique battue par son rythme cardiaque s’est arrêtée alors qu’on le conduisait à l’hôpital. Le musicien de 70 ans est parti comme il a vécu, sans jamais tenir compte des plans que les autres faisaient pour lui. Au moment des derniers hommages, son corps sera mis en terre au rythme des sonorités de chez lui, de la musique millénaire des griots mandingues.

1Mory Kante l interprete du tube Yeke

Mory Kanté n’aimait pas être enfermé dans une case.

 

C’est grâce à elle qu’avait eu lieu le premier contact du guinéen avec la musique, avant que l’éclectisme de ses goûts ne le pousse vers les sonorités occidentales et qu’il ne devienne un cocktail de musiques du monde dans un récipient africain.

 

Héritier d’une tradition de griots

Mory Kanté est né le 29 mars 1950 à Albadaria, en Guinée française. Très vite, la musique sera présente dans le quotidien du jeune garçon. Son père El Hadj Djeli (griot en mandinka) Fodé Kanté, est issu d’une longue lignée de griots. Sa mère, Fatouma Kamissoko, est une cantatrice également venue d’une famille transmettant depuis des générations la fière tradition des griots maliens. Alors qu’il grandit dans un village du sud de la Guinée, les parents du jeune Mory Kanté le persuadent. Il apprend, tout en suivant les cours de l’école occidentale et de l’école coranique, les rudiments du balafon. « L'éducation typique passe par une phase de mnémotechnique durant laquelle on apprend au jeune griot, dès l'âge de 5-6 ans, à poser sur chaque note des mots retraçant de grands faits historiques qu'il doit retenir pour toujours », explique Justin Morel Junior, un  journaliste malien.

« L'éducation typique passe par une phase de mnémotechnique durant laquelle on apprend au jeune griot, dès l'âge de 5-6 ans, à poser sur chaque note des mots retraçant de grands faits historiques qu'il doit retenir pour toujours ».

Après 3 années d’un apprentissage rigoureux, le jeune garçon est si doué qu’il est invité à se produire lors des fêtes dans son village natal puis dans les villages voisins.

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« Il faut avoir été préparé et ouvert à certaines réalités. »

 

A l’âge de 15 ans, il est envoyé chez sa tante Maman Ba Kamissoko. Pendant plusieurs mois, il est initié aux arts et connaissances des griots, maitres de la parole et gardiens de l’histoire et des traditions mandingues. « Chez nous, pour être un bon chasseur, un bon pêcheur ou un bon griot, il faut être initié, c’est-à-dire qu’il faut avoir été préparé et ouvert à certaines réalités. Tout dépend de la famille à laquelle vous appartenez. À 15 ans, j’ai été envoyé à Bamako auprès de ma tante, la griotte Ba Kamissoko. Pendant ce séjour, je suis allé écouter les grands griots, pour comprendre et apprendre », racontait Mory Kanté dans une interview. Auprès de sa tante, Mory Kanté est initié à la kora, harpe-luth à 21 cordes, l’instrument emblème des griots. Seulement, la tradition familiale prépose le jeune garçon au balafon. Malgré tout, son oncle, fier des progrès rapides du jeune guinéen lui offre une Kora.

Pendant plusieurs mois, Mory Kanté n’écoute de musique que celle des griots, si bien qu’à la fin de son initiation, il a une envie quasi obsessionnelle de musique d’ailleurs. Il se tourne alors vers la Rumba zaïroise, la salsa et le cha cha cha cubains ainsi que la pop et le rock britanniques. Le jeune musicien guinéen aime ce qu’il découvre et poursuit sa découverte des rythmes musicaux du monde.

Il se tourne alors vers la Rumba zaïroise, la salsa et le cha cha cha cubains ainsi que la pop et le rock britanniques.

Il se tourne entre autres vers la variété française. « En 1968, on écoutait Johnny Hallyday, Sylvie Vartan ». Il découvre également la funk de James Brown qui « sonne très africain », et l'électro. Ces rythmes modernes poussent le jeune guinéen à apprendre à jouer de la guitare. Au milieu de l’année 1968, il quitte l'école pour intégrer l'Institut des Arts de Bamako. Un an après, il préfère mettre fin à sa formation. Il faut dire que le musicien n’aime pas se sentir en cage. Selon lui, il tient cette constante aspiration à la liberté de son grand-père maternel qui s’était distingué en refusant de payer l’impôt colonial. « Il est parti en ville à cheval, a demandé à voir le commandant blanc et, devant son intransigeance, l’a giflé, ce qui lui a valu d’être torturé », raconte Mory Kanté.

« Il est parti en ville à cheval, a demandé à voir le commandant blanc et, devant son intransigeance, l’a giflé, ce qui lui a valu d’être torturé », raconte Mory Kanté.

Une fois libéré des liens de toute étude, le natif d’Albadaria, guitariste et balafoniste accompli, joue dans plusieurs orchestres locaux. Il devient alors une véritable célébrité à Bamako. Il est si connu qu’il est repéré par Tidiane Koné, le chef  du Rail Band de Bamako. Aussi appelé orchestre du buffet de la gare de Bamako, le groupe a été créé par la Régie des chemins de fer de Bamako dans la foulée des naissances, suscitées par les indépendances, de divers orchestres nationaux africains. Le groupe est composé de nombreux musiciens talentueux et a pour chanteur, à cette époque, le désormais légendaire Salif Keita. En 1971, Mory Kanté intègre le groupe.

 

Le Rail Band de Bamako avant un succès mondial

Au sein de Rail Band de Bamako, Tidjane Koné convainc Mory Kanté de jouer de la Kora. Se basant sur les rudiments reçus pendant son initiation, le Guinéen s’améliore tellement à la Kora qu’il en fait son instrument de prédilection.

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En 1976, il remporte le trophée de la Voix d’or au Nigéria.

 

En 1975, toujours sur le conseil de Tidjane Koné,  Mory Kanté se met au chant pour remplacer Salif Keïta lorsque ce dernier quitte le groupe. Encore une fois, le chef du Rail Band de Bamako a vu juste. Comme avec la Kora, Mory Kanté se débrouille si bien au chant qu’il réussit à faire passer la pilule du départ de Salif Keita.

Mory Kanté se débrouille si bien au chant qu’il réussit à faire passer la pilule du départ de Salif Keita.

Comme pour récompenser les efforts du jeune guinéen de 25 ans, en 1976, seulement une année après ses débuts au chant, Mory Kanté remporte le trophée de la Voix d’or au Nigéria. Il continuera de faire le bonheur du Rail Band de Bamako pendant deux ans avant de décider de se lancer en solo. En 1978, il part à Abidjan avec quelques joueurs d’instruments traditionnels. Il obtient un emploi au Climbier, un célèbre club select d’Abidjan très prisé de la jet set locale et des personnalités étrangères en visite dans le pays. « Au Climbier à Abidjan, plusieurs vedettes internationales comme Barry White ou Johnny Pacheco venaient dîner. Ils appréciaient l’adaptation que je faisais de leurs tubes avec mon orchestre traditionnel. C’est ainsi que mon nom a commencé à circuler, aboutissant en 1981 à mon premier album, Courougnégné », a confié Mory Kanté. Sa voix, sa Kora et sa musique tapent dans l’oreille de Gérard Chess, directeur du label américain « Ebony Records » qui décide de produire « Courougnégné », le premier disque de Mory Kanté. Ce dernier rallie alors Los Angeles pour l’enregistrer. Ce n’est pas un énorme succès commercial. Malgré tout, l’album, révélant le style musical, métissé entre musique traditionnelle et funk, le fait connaître partout en Afrique. Dans la foulée de cette nouvelle notoriété, il crée un grand ballet pour le centre culturel français d'Abidjan. La formation regroupe 75 personnes qui se produisent avec  le Guinéen. Seulement, ce dernier commence à avoir l’impression de stagner. Il commence à avoir envie de rallier l’Europe pour se renouveler au contact d’une nouvelle culture musicale. L’artiste décide alors de se rendre, « sans-papiers », en France. Il rallie Paris en 1984 où il enregistre « Mory Kanté à Paris ». C’est sur cet album qu’apparaît la première version de son tube légendaire « Yeke Yeke ».

L’artiste décide alors de se rendre, « sans-papiers », en France. Il rallie Paris en 1984 où il enregistre « Mory Kanté à Paris ». C’est sur cet album qu’apparaît la première version de son tube légendaire « Yeke Yeke ».

L’album fait de Mory Kanté un des visages de la World Music en France. Il se produit dans des salles prestigieuses… au New Morning, à Bercy. Il devient si connu qu’en 1985, lorsque le célèbre Manu Dibango veut enregistrer, avec plusieurs autres artistes africains, une chanson au profit des Ethiopiens victimes de famine, Mory Kanté fait partie des invités de premier plan. Les deux hommes se lient d’amitié à cette occasion. En 1986, le Guinéen sort « Ten Cola Nuts », son troisième opus, qui sera applaudi par la critique. Son père décède cette année-là. En 1987, Mory Kanté sort l’album « Akwaba Beach ». Ce sera la consécration d’une vie.

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« De quel droit imposerait-on à un musicien africain de ne faire que de la musique africaine ? »

 

Le disque aux sonorités funk et mandingue est un succès commercial inattendu. Il est tracté par le tube planétaire « Yèkè Yèkè », résultant de modifications appliquées à une ancienne chanson. Le titre devient une des toutes premières chansons africaines à se classer à la tête des hits parades européens.  En 1988, Mory Kanté décroche un disque d’or et remporte le prix du meilleur album francophone des victoires de la musique.

Le titre devient une des toutes premières chansons africaines à se classer à la tête des hits parades européens.  En 1988, Mory Kanté décroche un disque d’or et remporte le prix du meilleur album francophone des victoires de la musique.

Il devient alors plus suivi sur la scène internationale. « Je faisais de la musique depuis vingt ans déjà, mais ce succès, pour un petit nègre inconnu débarqué en Europe, était inespéré », se rappelle-t-il.  Seulement, en entendant parler d’un musicien africain, les gens ne s’attendent pas forcément au cocktail entre rythmes traditionnels et sonorités modernes proposées par le Guinéen. Ce dernier affiche alors sa liberté d’expression musicale au monde. « De quel droit imposerait-on à un musicien africain de ne faire que de la musique africaine, pourquoi n'aurait-il pas lui aussi accès à la modernité. A partir du moment où ma musique plaît aux gens de mon village, il y a de bonnes raisons pour espérer qu'elle plaira aux citoyens du village mondial », déclare-t-il.

 

Du succès planétaire au retour aux sources

En janvier 1990, le Guinéen enregistre son album « Touma ». Il y collabore avec de grands noms comme le guitariste chicano-américain Carlos Santana et le sud-Africain Ray Phiri. L’album est disque d'or en France et les ventes atteignent le million à l'étranger. Le 14 juillet 1990, Mory Kanté représente la France, aux côtés de Khaled, lors d'un concert à New York. Quelques semaines plus tard, le Guinéen participe au gala de la francophonie dans le célèbre Apollo de Harlem, la salle où a débuté la légende du funk James Brown. Mory Kanté est désormais une célébrité mondiale. Il décide alors de retourner en Guinée, pour enregistrer « Nongo Village », son nouvel album.  

Mory Kanté est désormais une célébrité mondiale. Il décide alors de retourner en Guinée, pour enregistrer « Nongo Village », son nouvel album. 

Dans ce disque, il commence à réduire la part des sonorités et instruments modernes. Ce processus continuera jusqu’en 2004 où l’artiste décide de revenir complètement aux instruments traditionnels dans son album «  Sabou ». Confiant en son héritage mais également en son parcours musical, il est confiant dans sa possibilité de faire « sa musique » uniquement avec des instruments traditionnels. « Uniquement avec des instruments comme le carignan, le cabassa, le bolon, le n’gony, la flûte, le tama (instruments traditionnels ; ndlr), j’ai écrit des partitions, créé des mélodies qui sonnent comme une formation électrique avec violon et synthétiseur. En 1991, j’ai dirigé, à l’occasion de l’inauguration de la Grande Arche de la Défense, à Paris, un projet symphonique qui réunissait 130 griots musiciens et vocalistes traditionnels », explique-t-il. Ce sera son avant dernier album.

En 1991, j’ai dirigé, à l’occasion de l’inauguration de la Grande Arche de la Défense, à Paris, un projet symphonique qui réunissait 130 griots musiciens et vocalistes traditionnels », explique-t-il.

Ecouté et toujours respecté partout dans le monde, l’artiste peut de moins en moins profiter de son succès et enchaîner les tournées à cause de maladies chroniques.

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« Ce succès, pour un petit nègre inconnu, débarqué en Europe, était inespéré. »

 

Il décèdera le 22 mai à Conakry emporté par celles-ci. Il n’a pas pu aller se faire soigner en France à cause des restrictions imposées pour lutter contre la pandémie de coronavirus.  « On est tous attristé du décès, on s’attendait à une belle retraite de Mory Kanté. Mais je pense qu’il est parti brusquement. C’est quelqu’un qui sera dans les annales de l’histoire de la culture, parce que Mory nous a beaucoup marqué», confie la chanteuse Aicha Koné.

Au moins, il aura été lui-même, libre jusqu’à la fin. Malgré tout, après Manu Dibango et Tony Allen, il y a quelques semaines, ça fait mal de perdre Mory Kanté, une autre des légendes ayant écrit l’histoire de la musique africaine.

Servan Ahougnon

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