Covid-19 : en Occident, les populations paient le prix des années de réduction des budgets consacrés à la santé

(Ecofin Hebdo) - Dans le monde entier, notamment en Occident, les scènes de populations félicitant et applaudissant le personnel médical au front durant la pandémie affluent sur la toile. Effectivement, le sacrifice des médecins et du personnel paramédical est louable, face à une maladie qui emporte leurs confrères pendant qu’ils se démènent pour soigner la population. Pourtant, en première ligne face à la crise sanitaire la plus importante du siècle, les médecins n’ont pas arrêté de se plaindre, ces dernières années, de leurs conditions de travail. Si leurs cris sont repris en écho par une population, plus attentive ces dernières semaines à leurs souffrances, les gouvernements quant à eux ne savent pas vraiment sur quel pied danser. Dans leurs dynamiques de réduction des dépenses publiques, la santé a été le domaine le plus touché par les coupes budgétaires. Une décision que doivent regretter des pays comme la France, l’Italie et les Etats-Unis.

 

Cas de la France : plus de deux décennies de coupes budgétaires

« Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. La santé n’a pas de prix. Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies quoi qu’il en coûte », avait déclaré le président français dans son allocution télévisée du 12 mars. Pourtant, depuis plusieurs années, les médecins français multiplient les grèves. Ils subissent le contrecoup de plus deux décennies d’austérité progressive imposée à l’hôpital public français.

« Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. La santé n’a pas de prix.»

La dégradation débute aux environs de 1983, lorsque l’économiste de la santé et haut fonctionnaire Jean de Kervasdoué crée un « programme de médicalisation des systèmes d’information » (PMSI). Il s’agit d’un outil permettant de « quantifier et de standardiser » l’activité et les ressources des établissements de santé dans le but de mieux contrôler les dépenses de santé publique. Grâce au PMSI, le ministère de la Santé développe progressivement un système d’information qui classe les séjours à l’hôpital en grandes catégories et permet d’en établir le coût moyen. Au début des années 2000, l’Etat est en mesure de connaître la « production » de chaque hôpital ainsi que son coût. S’en suit alors le plafonnement des objectifs de dépenses en matière de santé par l’Etat.

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En 2018, la France affichait plus que 3,09 lits pour 1000 habitants.

 

Alors Premier ministre, Alain Juppé édicte par ordonnance l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie. Il s’agit d’un plafond de dépenses de santé à ne pas dépasser. A partir de ce moment, ce plafond est défini, sur une base annuelle, dans la loi de financement de la sécurité sociale.  Selon l’Institut de recherche et documentation en économie de la Santé, « les objectifs clairement avoués par les pouvoirs publics étaient de réduire de 100 000 lits le parc hospitalier français, soit près du tiers de sa capacité ». L’austérité provoquée par l’ordonnance du Premier ministre va pousser plusieurs petits établissements de santé à mettre la clé sous le paillasson. Plus de 60 000 lits disparaissent du parc hospitalier français entre 2003 et 2016. Pourtant, au fil des gouvernements, l’austérité se renforce. En 2004, Jean-François Mattéi, le ministre français de la Santé présente son « Plan hôpital 2007 ». Adopté par ordonnance, il instaure la tarification à l’acte (T2A) pour la médecine, l’obstétrique et la chirurgie pratiquées dans les hôpitaux publics. Autrement dit, les budgets des hôpitaux publics sont désormais fixés sur la base du nombre d’actes qui y sont réalisés. Difficilement quantifiables, les travaux de suivi, d’accompagnement et d’échange avec le patient ne sont plus rémunérés. Pire, en 2009, Roselyne Bachelot, la ministre de la Santé fait voter la loi « Hôpital, patients, santé et territoire ». Celle-ci démet les médecins d’une grande partie de leur pouvoir transféré aux managers promus chefs des établissements de santé et garants de la performance économique.

Le coup de grâce viendra de la « loi de modernisation de la santé » votée en 2016. L’une de ses principales mesures centrales crée des « groupements hospitaliers de territoire ». Tous les hôpitaux doivent y adhérer. Ces groupements vont être à l’origine de nombreuses fusions entre hôpitaux, réduisant le nombre d’établissements ainsi que les coûts, mais également le nombre de lits. En 2018, selon les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France affiche 3,09 lits pour 1000 habitants, là où l’Allemagne affiche 6,02 lits pour 1000 habitants et la Lituanie 5,47 lits pour 1000 habitants. Ainsi, au passage du Covid-19, plus de 25 000 Français ont perdu la vie.

 

Italie, même combat ou presque

Comme son voisin, l’Italie a progressivement sacrifié sa capacité sanitaire sur l’autel de l’économie. Une étude de la Fondation Gimbe, publiée en septembre 2019, revient sur l’ensemble des coupes budgétaires dans le secteur de la santé en Italie. Dans ce pays, dans le but de faire baisser la dette italienne, le gouvernement a progressivement affaibli les établissements publics de santé.

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L’Italie a perdu plus de 600 hôpitaux et 30 000 lits en dix ans.

 

Tout commence par la crise financière de 2008 qui va fortement endetter le pays. Successeur en 2011 de Silvio Berlusconi, Mario Monti a réussi à couper 25 milliards d’euros dans le budget prévisionnel de la période 2010-2015.

Tout commence par la crise financière de 2008 qui va fortement endetter le pays. Successeur en 2011 de Silvio Berlusconi, Mario Monti a réussi à couper 25 milliards d’euros dans le budget prévisionnel de la période 2010-2015

Cette politique se poursuit entre 2016 et 2019 et, au total, parmi les coupes effectuées, on retrouve 12 milliards d’euros économisés sur le budget de la santé. Selon l’étude de la Fondation Gimbe, le mal est plus profond et ce sont 37 milliards d’euros qui ont été retirés, au fil des années, à la santé publique. Il faut préciser que le budget lui-même n’a pas baissé, au contraire. Il a augmenté de 0,9 % par an. En fait, selon l’étude, la grande majorité des 37 milliards d’euros est due à une réduction du personnel sanitaire. Par ailleurs, l’Italie a perdu plus de 600 hôpitaux et 30 000 lits en dix ans. Pas préparée à affronter une pandémie, dans un pays où les plus de 65 ans sont passés de 10,6 millions à 13,7 millions en vingt ans, l’Italie a payé le prix fort face au Covid-19 : plus de 29 000 morts.

 

Etats-Unis : Trump et la mort de l’Obamacare

Dans un pays réputé pour avoir l’accès à la santé le plus cher de la planète, Donald Trump, nouveau président des Etats-Unis, avait décidé de démanteler l’Obamacare. Cette réforme de son prédécesseur, Barack Obama, loin de régler complètement le problème, avait aidé 20 millions d’Américains à souscrire à une assurance privée, moyen le plus efficace de réduire le coût des soins. Malgré tout, Donald Trump et son administration ont décidé que cette loi devait disparaître.

Selon sa classe sociale, on peut se faire tester et recevoir les meilleurs soins possible ou simplement se faire refouler.

Heureusement, l’abrogation par le Congrès américain a échoué. Mais cela n’a pas arrêté la nouvelle administration.

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Etats Unis : pas d’argent, pas de soins.

 

Un décret présidentiel a supprimé, tour à tour, des subventions aux assureurs qui permettaient de réduire le coût des assurances et des soins pour les Américains les plus modestes. Une autre décision de l’administration a déréglementé des couvertures, provoquant le déremboursement de certains soins. Finalement, sans aide pour obtenir une assurance, une partie de la population américaine n’a toujours pas les moyens de se faire soigner, ni même de payer un dépistage du Covid-19.

Loin d’être le seul problème du système, ou des systèmes de santé américains sachant que chaque Etat fédéral a son propre système, l’accès au soin n’est que la partie émergée de l’iceberg. Dans un pays au système de santé hautement capitaliste, où les fournisseurs de soins ne jurent que par la rentabilité, quitte à ne pas disposer de tout le matériel nécessaire, on voit mal comment les Etats-Unis auraient pu résister à la pandémie. Selon sa classe sociale, on peut se faire tester et recevoir les meilleurs soins possible ou simplement se faire refouler. Face à ce système de santé inégal et incompréhensible, le Covid-19 est passé comme dans du beurre : plus de 73 000 morts à ce jour.

Avec tous ces exemples, face à la crise économique consécutive à la pandémie, les gouvernements désireux de faire des économies devraient avant tout envisager de renforcer leurs systèmes sanitaires ou, au moins, de ne pas réduire les budgets consacrés à la santé publique. Cela vaut notamment pour les pays africains qui continuent d’être une heureuse exception de la pandémie avec très peu de cas de contamination et de décès par rapport au reste du monde (47 118 cas et 1843 décès pour tout le continent). Il s’agit donc pour les gouvernements africains de ne pas trop compliquer la tâche des 2 médecins pour 10 000 habitants qu’affiche le continent, selon les chiffres de l’OMS.

Servan Ahougnon

servan ahougnon

 

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