(Agence Ecofin) - Dans un entretien accordé à Ecofin en marge de la 27ème conférence économique africaine, le Ministre éthiopien des Finances et de la Coopération Economique, est revenu sur de récents développements économiques de son pays, notamment la dévaluation très discutée de la monnaie locale, la stratégie de diminution des inégalités et le difficile arbitrage entre l’attraction des investisseurs privés et la protection des intérêts de communautés locales.
Agence Ecofin : Il y a quelques mois, votre gouvernement a pris la décision de dévaluer le Birr (monnaie éthiopienne), comment comprendre cette décision alors que l’économie est en pleine croissance ?
Dr Abraham Tekeste : L’économie éthiopienne croit effectivement très rapidement et a connu une progression moyenne de 10% ces dernières années et cela, à un moment, a nécessité d’importantes ressources financières, y compris en devises, pour soutenir cette croissance. Or, en 2016, nous avons constaté, que les exportations qui génèrent des devises étrangères ont progressé, mais pas au rythme que nous avions prévu et c’est dans ce contexte que nous avons été amenés à dévaluer notre monnaie de 15% pour soutenir nos exportations. Donc nous avons décidé de dévaluer le Birr pour soutenir et encourager nos exportations, sécurisant du même coup nos revenus en devises.
Agence Ecofin : Quels sont les premiers impacts perceptibles de cette mesure, sachant que dans certains médias éthiopiens, il a été soulevé avec insistance, les risques que cette décision agisse négativement sur le pouvoir d’achat des populations, notamment les plus pauvres ?
Dr Abraham Tekeste : La décision de dévaluation a été prise récemment, et il est trop tôt pour parler d’impacts réels. Mais nous avons déjà pu percevoir une amélioration des recettes d’exportations en monnaie locale et des volumes exportés. Pour ce qui est de l’impact sur le pouvoir d’achat des populations, nous suivons de près l’évolution des prix. Nous n’avons pas encore observé une hausse significative des prix dans les plupart des produits pris en compte dans le panier de la ménagère. Nous avons aussi la conviction que cela ne devrait pas beaucoup changer sur le moyen terme.
Agence Ecofin : Nous sommes réunis ici à la 27ème conférence africaine où on parle de gouvernance au service de la transformation structurelle de l’Afrique. Comment justement l’Ethiopie parvient à concilier croissance et répartition équitable des richesses crées ?
Dr Abraham Tekeste : Déjà il faut noter que les sources de la croissance sont très diversifiées en Ethiopie, avec un accent mis sur l’agriculture, qui représente quand même l’activité de 70 à 80% de la population. Nous sommes donc différents de pays qui ne dépendent que de quelques matières premières, ou même d’une seule d’entre elles. De ce point de vue, vous comprenez qu’en développant notre agriculture, la croissance a profité à une large majorité de personnes. Une deuxième stratégie a été celle d’investir dans l’éducation, la santé, les infrastructures et l’énergie. Lorsque vous investissez sur des secteurs qui touchent des personnes, leurs capacités sont renforcées à mieux contribuer à la productivité de l’économie. Une troisième stratégie a été la mise en place : des filets de sécurité pour les populations les plus pauvres et les plus vulnérable dans les zones rurales, dans le cadre de ce qu’on appelle les filets sociaux des zones rurales, qui ont bénéficié à près de 7 à 8 millions de ménages.
Agence Ecofin : Une des options prises par l’Ethiopie est celle d’attirer des investisseurs étrangers, mais cela ne va pas sans poser de problèmes. On l’a vu notamment avec le cas de Dangote Cement, où il y a eu des problèmes de revendications foncières. Comment parvenez vous à arbitrer entre ces deux types d’attentes qui sont fondamentales ?
Dr Abraham Tekeste : Les investissements privés sont essentiels pour le développement d'un pays, et nous avons donc effectivement pris l’option de les encourager et de protéger la propriété privée, pour nous c’est fondamental. Mais si on prend l’exemple que vous citez, je dirais que, lorsqu’on attribue des terres dans ce type de cas aux investisseurs, nous nous assurons que toute personnes qui dépend de cet espace est compensé de la manière la plus appropriée possible et est aussi recasée. Il ne faut pas oublier aussi que les investissements privés créent aussi des emplois qui profitent aux communautés locales et donc créent des sources de revenus et de consommation, contribuant ainsi positivement aux économies locales et leurs communautés. Les arbitrages sont difficiles, mais je ne pense pas que les investissements privés soient incompatibles avec le respect des attentes des populations.
Agence Ecofin : En tant que ministre des finances et de la coopération économique tout ceci doit être un bon casse-tête chinois à gérer tous les jours… Quel est votre état d’esprit chaque matin lorsque débutent vos journées et le soir lorsqu’elles s’achèvent ?
Dr Abraham Tekeste : Je dirais simplement que l’Ethiopie vit une période intéressante de son histoire. Nous avons réalisé tant de choses, et pourtant, nous avons encore tellement à faire. Pour ma part, il est important de rendre durable nos victoires économiques et cela s’inscrit dans la vision de long terme qui nous guide, celle de devenir un pays avancé et une économie industrialisée dans laquelle il n’y a presque pas de pauvreté. C’est cette vision qui guide mon quotidien en tant que ministre des finances et membre du gouvernement. C’est vraiment une période intéressante pour notre pays, avec tellement de défis, de nombreuses choses à faire, tout en ayant à l’esprit ce qui a déjà été accompli, en même temps qu’une vision à long terme qui est solide.
Par Idriss Linge à Addis-Abeba
Lomé, Togo - Organisé par la BIDC.