(Agence Ecofin) - Alors que vient de s’achever à Dakar, la semaine de l’inclusion financière organisée par la Banque centrale commune aux pays de l’Afrique de l’Ouest, la firme FinAfrique qui est spécialisée dans les études, la formation et le conseil financier, a produit des chiffres sur l’accès du digital dans les secteurs de la banque et de l’assurance dans 21 pays d’Afrique au sud du Sahara. Leticia Ngahane Konan (photo), directrice associée au sein de l’institution et en charge de l’Afrique de l’Ouest à accepter de commenter les résultats de cette étude avec l’Agence Ecofin.
Agence Ecofin : Le secteur financier des 21 pays que vous avez étudiés peine à tirer avantage du potentiel des affaires en rapport au niveau d'accès des populations au mobile. A votre avis, quel est ce potentiel (en valeur si possible) et quel est le gain actuellement réalisé par ces assureurs et banquiers.
Leticia Ngahane Konan : Nous allons vous donner quelques chiffres pour répondre à votre interrogation. On compte aujourd’hui en Afrique, environ 350 millions de comptes de Mobile Money enregistrés contre un peu plus de 120 millions de comptes bancaires. Cet écart vous montre bien le potentiel disponible et la puissance du mobile. On remarque que le taux de bancarisation évolue encore de façon timide, face à un taux d’inclusion financière qui, selon la BCEAO pour la zone UEMOA par exemple, a augmenté de 20% au cours des 4 dernières années (57,1%) notamment grâce aux services financiers numériques. Il est difficile à ce stade, sur ce marché encore immature, de vous donner une estimation des gains potentiellement réalisés par les banques et assurances d’Afrique subsaharienne.
Agence Ecofin : Quelle est la principale contrainte présentée par ces entreprises financières, à investir davantage dans la digitalisation de leurs services ?
Leticia Ngahane Konan : Nous avons observé plusieurs contraintes. Elles peuvent se résumer en 3 aspects : psychologique, matériel et financier. A titre d’exemple, il y a la peur du changement de culture d’entreprise, les coûts induits par cette transformation digitale concernant les développements informatiques, la sécurisation de données, la formation des salariés, etc.), le manque d’informations chiffrées sur les études d’impacts de cette transformation et pour certains pays, le manque d’infrastructures mobiles fiables à l’échelle nationale.
Agence Ecofin : Au-delà de la digitalisation, ces banques vous ont-elles semblé avoir une stratégie visant à rendre efficientes leurs options de relation client via le digital ?
Leticia Ngahane Konan : Le digital représente un canal de souplesse, de rapidité dans les échanges et d’immédiateté en termes d’accès à l’information pour chaque client. Par défaut, le canal digital est un vecteur d’efficience dans le suivi de la relation commerciale. Au cours de nos travaux, un certain nombre d’institutions étaient en cours de construction de leur plateforme d’e-banking ou de développement d’application mobile. On a pu constater une prise de conscience réelle de cet atout digital. Le bon sens nous indique que tout processus doit être optimisé et amélioré dans le temps.
Agence Ecofin : Pour celles qui se sont digitalisées pleinement, a-t-on constaté une réelle amélioration des marges nettes ?
Leticia Ngahane Konan : Pour répondre à votre question, prenons le cas d’Equity Bank au Kenya. Elle a vu en 2018, une augmentation de ses résultats d’environ 141% et de ses transactions d’environ 66% entre 2015 et 2016 du fait d’avoir transféré en 2016, 66 % de ses transactions sur le canal mobile, contre seulement 46 % un an plus tôt.
Agence Ecofin : Quelles sont les options de régulation pour les Etats actuellement, en termes de corpus de règles, mais aussi de célérité de mise en œuvre de ces règles ?
Leticia Ngahane Konan : Les régulateurs n’ont pas encore rendu publiques les décisions adoptées en la matière, certains pays réfléchissent ou mènent des actions pour encadrer cette activité. Une loi d’orientation de l’économie numérique permettrait aux différents pays de bénéficier pleinement de la profitabilité générée par la transformation digitale sans déperdition de capitaux. L’aspect réglementaire pourrait combiner par exemple des éléments sur la protection des données ou de soutien à l’innovation et de déploiement de l’accès au numérique, etc. Nous assistons en ce moment à la semaine de l’inclusion financière qui est organisée par la BCEAO. Et parmi les 5 points clés qu’elle préconise, il y a la mise en place de nouvelles réformes pour protéger les consommateurs face à l’évolution fulgurante de la digitalisation.
Agence Ecofin : Quels conseils pouvez-vous spécifiquement donner aux sociétés financières qui tardent dans les zones étudiées à adopter un processus de digitalisation ?
Leticia Ngahane Konan : Pour assurer la pérennité des activités financières et assurantielles dans un monde interconnecté, il conviendrait de franchir le cap du digital sans attendre. Au préalable, il serait judicieux de définir sa stratégie digitale en formant les équipes, en ajustant son organisation et en définissant sa cible produits/clients.
Propos recueillis par Idriss Linge
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