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« Je pense qu’on peut financer les infrastructures énergétiques africaines avec des capitaux africains, si la volonté politique y est »

  • Date de création: 23 septembre 2022 14:41

(Agence Ecofin) - Selon un récent rapport de la Fondation Mo Ibrahim, les énergies renouvelables ne suffiront pas pour développer l’Afrique, le gaz est indispensable. Olivier de Souza, lui-même auteur du rapport « En Afrique, la transition énergétique passera d’abord par le gaz » nous livre son point de vue.

Agence Ecofin : La Fondation Mo Ibrahim rejoint une position que vous défendez depuis déjà plusieurs années. Mais l’Afrique dispose-t-elle à ce jour de réserves de gaz suffisantes pour assurer son développement industriel ?

Olivier de Souza : Aujourd’hui le continent africain abrite un peu plus de 600 trillions de pieds cubes de gaz naturel (Tcf), ce qui correspond à moins de 5% des réserves mondiales. Toutefois, un scénario envisagé par les analystes montre qu’en cas d’arrêt des activités d’exploration, si de nouvelles découvertes ne sont plus ajoutées aux actifs en production et si les niveaux de production actuels sont maintenus, la région est capable de produire du gaz pendant les 60 prochaines années. Le Nigéria qui possède les plus vastes réserves d’Afrique, peut quant à lui, continuer de produire pendant les 120 prochaines années.

AE : L’Europe s’intéresse également au gaz africain, pour se libérer de sa dépendance à la Russie. L’Afrique a-t-elle les moyens de renoncer à de telles recettes d’exportation ?

Olivier de Souza : Il ne s’agit pas pour l’Afrique de renoncer à profiter de ce qui se présente désormais comme une opportunité commerciale. Pour moi, il s’agit plutôt pour le continent de faire des arbitrages entre vendre son gaz et s’en servir pour stimuler son propre développement. Je m’explique. Prenez un pays comme l’Egypte. Lorsque le Zohr a été découvert en 2015 et que plusieurs autres périmètres gaziers ont suivi dans la foulée, les autorités ont mis un point d’honneur ne pas vendre le combustible, mais à injecter ces nouveaux volumes dans les réseaux de distribution afin de satisfaire la demande domestique dont la croissance était alors très élevée. D’ailleurs, le recours aux importations coûtait beaucoup en termes de devises extérieures. Une fois qu’ils ont fait cela, ils ont réussi à atteindre l’autosuffisance gazière en 2018. Mais il y avait toujours des volumes supplémentaires de gaz qui ne pouvaient plus être consommés sur place. Alors, les autorités ont décidé de faire du pays un hub régional du gaz, qui alimentera les pays voisins. Donc, on a dans un premier temps renoncé à vendre, ce qui a permis de réduire la facture des importations de gaz et ensuite, on a commercialisé le produit, ce qui a permis d’augmenter les recettes d’exportation. Le pays gagne sur les deux tableaux. Pour moi, c’est un exemple parfait d’arbitrage à faire. Mais chaque pays à des réalités différentes. Il revient aux dirigeants de décider en fonction des politiques énergétiques, de la demande en énergie et des besoins budgétaires, de privilégier ou non les recettes d’exportation. Mais la meilleure approche à mon avis est d’arriver à satisfaire sa demande tout en profitant de l’exportation pour améliorer ses recettes publiques. Si cela est clair, il ne servira à rien de renoncer aux recettes d’exportation vers l’Europe. Pour aller plus loin, je dirai qu’il n’y a pas que l’Europe qui est un gros marché de consommation. Les pays africains peuvent et doivent privilégier les meilleurs deals et commercer avec les plus offrants.

AE : Pour extraire le gaz et le distribuer sur l’ensemble du continent, il faut d’importantes ressources financières. Comment l’Afrique peut-elle réunir de tels capitaux à l’heure où les banques internationales ne veulent plus financer les énergies fossiles ?

Olivier de Souza : Je pense que l’Afrique peut mobiliser des capitaux en interne, si les banques internationales venaient à lui tourner le dos. Mobiliser des capitaux, surtout pour des questions aussi importantes, est la partie la moins complexe quand le projet est qualitatif, qu’il a du sens et qu’il a le potentiel d’impacter réellement. La problématique des capitaux dans ce scénario a déjà été abordée par la Chambre africaine de l’énergie (CAE), qui a suggéré plusieurs options aux pays producteurs. L’une d’entre elles est de leur demander de mobiliser 5% de leurs recettes pétrolières par an. Par rapport à 2021, cela correspond à 5 milliards de dollars. En faisant appel à l’épargne publique et en sollicitant les fonds de pension qui gèrent plus de 350 milliards de dollars d’actifs et recherchent toujours des opportunités d’investissement de long terme, il y a également moyen de lever des capitaux. D’ailleurs, l’une des options les plus envisagées actuellement est la création d’une banque africaine de l’énergie. L’idée émane du ministre équato-guinéen du pétrole et a reçu l’adhésion de son homologue nigérian. Je pense qu’il y a vraiment moyen de financer les infrastructures énergétiques africaines avec des capitaux africains, si la volonté politique y est.