(Agence Ecofin) - La pandémie de covid-19 pourrait avoir un impact beaucoup plus néfaste sur les économies d’Afrique subsaharienne, alors qu’elles avaient été faiblement touchées lors de la crise financière de 2008. Une perspective évoquée par le directeur du département Afrique du Fonds monétaire international (FMI), Abebe Aemro Sélassié (photo), au cours d’un récent entretien.
« Je crains que l'impact sur la région [Afrique subsaharienne, ndlr] cette fois-ci ne devienne vraiment dévastateur. En 2008 / 2009, l’intégration des pays à l'économie mondiale était limitée du côté financier. Mais je pense que la principale raison qui explique la résistance à la pression, est que ces pays disposaient de beaucoup d'espace budgétaire. Les niveaux d'endettement étaient donc assez bas. Ainsi, lorsque la crise financière mondiale a frappé et que ce ralentissement s'est transmis dans la région, les entreprises ont pu avoir des politiques assez anticycliques, permettre aux déficits publics de se creuser, entreprendre les projets d'investissement et renforcer le soutien à l'activité économique. Ainsi, pour la grande majorité des pays de la région, le coup d'arrêt à la croissance a été limité. Sur le plan financier également, à l'époque, la dépendance vis-à-vis des marchés financiers mondiaux était moins importante qu'aujourd'hui », a déclaré Abebe Aemro Sélassié.
Les données ont considérablement évolué depuis lors à tel point que la crise économique mondiale qui se profile en raison de la pandémie de covid-19 va fortement impacter les économies d’Afrique subsaharienne. « Cette fois-ci, nous avons une situation où le niveau d'endettement est prononcé pour la grande majorité des pays. Et il y a aussi une dépendance beaucoup plus grande aux marchés financiers, beaucoup plus d'emprunts par le biais d'obligations en euros, de prêts syndiqués, etc. », fait remarquer le directeur du département Afrique du FMI.
Trois canaux de transmission de la crise sur les économies de la région
Abebe Aemro Sélassié identifie trois canaux dans lesquels l'impact de cette pandémie se fera sentir dans les économies d’Afrique subsaharienne.
Il s’agit premièrement des mesures que les gouvernements prennent pour freiner la propagation de la maladie, à travers notamment la limitation des vols des compagnies aériennes, la limitation des rassemblements, forçant la fermeture de certaines entreprises, avec à la clé d’importantes pertes d’emplois.
En Effet, comme l’explique le responsable, « contrairement à la plupart des pays avancés ou à de nombreux pays émergents, le travail à domicile ne sera pas une option, mais plutôt celle d’une infime fraction de la main-d'œuvre. Et dans la plupart des pays d'Afrique subsaharienne, la grande majorité des personnes travaillent dans le secteur informel ou dans les usines, les petites et moyennes entreprises. Aucune des entreprises n'aura les ressources nécessaires pour soutenir et garder les employés au-delà de quelques jours. Ou, si vous travaillez dans des activités de type informel, vous devrez sortir quotidiennement pour gagner votre vie ». Ces mesures de restrictions vont donc entraîner un très gros frein à l'activité économique.
Deuxièmement, le déclin de l'activité économique dans le reste du monde se fera également sentir dans la région. Cette pandémie qui a commencé comme une crise sanitaire s'est transformée en une crise économique majeure avec un ralentissement de la croissance mondiale ; ce qui entraînera un frein à la demande des exportations africaines, mais aura également pour effet de retarder les décisions d'investissement que les non résidents pourraient prendre en Afrique, ainsi que les décisions de financement.
Le troisième canal est la forte baisse des prix des matières premières, et notamment du pétrole.
Concentrer les efforts pour freiner au plus tôt la pandémie
Pour Abebe Aemro Sélassié, limiter la propagation de la maladie doit constituer la priorité pour tous les Etats de la région. « Il faut consacrer plus de ressources monétaires et fiscales à la résolution de cette urgence sanitaire. Je veux dire que c'est ce qui est important à très court terme pour contrer le ralentissement économique qui résultera des mesures prises au niveau national, mais aussi du ralentissement de la demande extérieure », insiste-t-il.
Par ailleurs, les Etats doivent adopter des politiques budgétaires plus dynamiques afin d’atténuer une partie de ce choc, à travers notamment des interventions ciblées pour soutenir les entreprises, et surtout les personnes qui ont été affectées par le ralentissement économique. Un assouplissement monétaire pourrait également être une réponse adaptée.
Borgia Kobri
Lomé, Togo - Organisé par la BIDC.