Pour Gerd Leonhard, futurologue suisse, la moitié des emplois de 2025 n’a pas encore été créée. Seul sur scène, la stature de Gerd Leonhard impose autant que les questions qu’il soulève et les menaces qu’il voit poindre – la moitié des emplois de 2025 n’a pas encore été créée, dit-il. Le futurologue de l’année, selon le Wall Street Journal, est auteur de cinq ouvrages et a passé 17 ans en Californie, a commencé sa carrière en tant que guitariste professionnel, avant d’être producteur de musique, puis de se spécialiser sur Internet dès 1995. Ce Suisse de 53 ans croit en l’avenir de sociétés ayant, comme Twitter, des vertus sociales, locales, mobiles, une utilisation d’Internet pour la transmission d’informations et ce que l’on nomme l’externalisation ouverte («crowdsourcing»).

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Gerd Leonhard, futurologue suisse

L’avenir des médias

Les médias sont des acteurs clés de cette transformation numérique. La presse écrite en souffre terriblement, incapable de créer un effet de rareté. «Nous sommes dans la vallée de la Mort parce que le traditionnel n’est plus valable et les promesses de revenus futurs ne sont pas encore actuelles», résume-t-il. L’avenir n’appartient pas à ceux qui ont introduit un «paywall», parce que l’introduction du prix réduit l’audience et crée un effet de rareté artificiel, fait-il valoir. Même le New York Times vient de le confirmer. «Je l’ai prévu il y a cinq ans», assure-t-il. Selon lui, les médias doivent offrir un «paywill» et non un «paywall». Le consommateur doit vouloir payer sans en être forcé. The Economist a développé une réponse adéquate, à son avis, avec son format audio et la possibilité d’écouter le magazine. The Atlantic est un autre bon exemple. Il est parvenu à s’imposer partout, autant dans l’offre d’informations que de conférences. Ou le Guardian, que le Bâlois qualifie de «prochain New York Times».

Les branches à l’abri

Pour des branches telles que l’horlogerie de luxe, le numérique est sans danger. Le statut et la mode importent avant tout. Lorsque la composante physique est importante, comme la gastronomie, la protection est également forte.

Les risques sont supérieurs dans le tourisme, les transports, les assurances, les services financiers, les banques. Il existe peu de branches échappant au «darwinisme numérique», car la technologie est hyper-efficiente. Tout ce qui se fonde sur les données est efficient et les coûts baissent en conséquence. L’Etat, qui représente la moitié du PIB, sera fortement touché et doit aussi se réinventer. Les emplois du futur seront liés à une créativité accrue et à la complémentarité intelligente avec la machine.

Le défi de la sphère privée

La vitesse exponentielle de la transformation se heurte au rythme de la politique. A l’égard de la sphère privée et de la sécurité des données, il faudrait établir un standard global, mais le processus est compliqué, selon l’expert. «Le besoin de sphère privé est fort en Suisse, moyen en Allemagne et presque nul aux Etats-Unis», observe Gerd Leonhard. Le défi éthique et culturel est pourtant prioritaire, mais le contrat social a 20 ans de retard, estime le futurologue.

L’ancien paradigme suisse, qui consiste à regarder, attendre et faire mieux, risque de nous tuer, selon Gerd Leonhard. Avec l’intelligence artificielle, l’attentisme est impossible. Mieux vaut se pencher sur le pourquoi, le comment et le qui. C’est le cas des banques. La technologie élimine le besoin de succursales, mais pas celui de sphère privée et de standard d’honnêteté et de sécurité. La sécurité des données peut encore être organisée, mais l’ouragan qu’est Big Data se développera, qu’on le veuille ou non. La transparence rend l’individu complètement nu, alors que l’éthique a dix ans de retard: Il n’y a pas de standard bancaire. Cette hyper-transparence est un terreau fertile pour la création d’entreprises offrant le luxe d’être sans Internet, selon Gerd Leonhard.

Créer notre infrastructure

Le futurologue propose de nous opposer à l’approche américaine à l’égard de la transparence. Les Suisses hochent de la tête à tout appel des Américains. «Nous pouvons défendre nos propres intérêts et offrir des «Secure Swiss Data», argumente-t-il. Les infrastructures sont à 92% aux Etats-Unis. Ce sont des investissements considérables. Mais leur coût est en forte baisse. «Nous pourrions créer, avec 100 millions, une infrastructure offrant des données sûres, selon un standard suisse. Si j’étais UBS, je le ferais, car il ne s’agit pas d’être illégal mais d’être technologiquement et politiquement sûr», fait valoir l’expert. En cinq ou dix ans, une industrie complètement nouvelle peut ainsi émerger en Europe.

Aux Etats-Unis, la mentalité de cow-boy comporte des avantages mais elle conduit à une robotisation de la société. «L’homme est réduit à une pièce du Google Operating System», avoue Gerd Leonhard. La croyance dans les capacités technologiques est abusive.

Attention à Google

Google est si puissant qu’il peut faire ce qu’il désire, selon le futurologue. Les arguments en faveur d’une régulation de Google ne manquent pas. Ce groupe est semblable à un énorme distributeur de courant électrique, et il a besoin d’un surveillant. Il ne faut pas dire oui ou non à Google mais réfléchir autrement qu’en termes purement financiers, présenter une réponse collective à nos ambitions, propose le Bâlois. L’UE a adopté la bonne stratégie à ce sujet.