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Small and beautiful, les petits États insulaires d’Afrique face au changement climatique

Sur les 52 petits États insulaires en développement dans le monde, six se trouvent en Afrique. Il s’agit du Cap-Vert, des Comores, de la Guinée-Bissau, de Maurice, de São Tomé-et-Principe et des Seychelles. Ces pays varient en taille, le plus petit étant les Seychelles (qui se composent de 115 petites îles, soit le plus grand nombre chez les petits États insulaires en développement d’Afrique), et le plus grand, la Guinée-Bissau (qui comprend près de 80 îles). Pour la plupart, ces pays évoquent des images saisissantes de paradis touristiques caractérisés par des plages paisibles, des palmiers, des eaux turquoise et transparentes ou des récifs coralliens aux couleurs vives.

« Small is Beautiful », l’ouvrage de référence de l’économiste E. F. Schumacher publié en 1973, visait à battre en brèche les arguments des maximes économiques bien établies comme « la croissance est bonne » et « grand, c’est mieux », et il y est presque parvenu, en jetant notamment le doute sur les opinions largement répandues concernant la croissance et le développement. Si la plupart des petits États insulaires en développement d’Afrique s’inscrivent dans la catégorie de ce que Schumacher définit comme « petit » et qualifie également de « beau », tout ne va pas pour le mieux dans ce paradis.

Les petits États insulaires en développement peuvent être beaux en effet, mais ils sont en péril. De toutes les menaces auxquelles font face ces États, le changement climatique est certainement le plus pressant. Bien que les petits États insulaires en développement soient fondamentalement différents, notamment aux plans social, politique, économique et géographique, ils partagent un certain nombre de caractéristiques qui atténuent leur vulnérabilité. Il s’agit en effet de la forte concentration de leurs populations, de leurs infrastructures et de leurs activités socioéconomiques le long des zones côtières. Par exemple, environ 80 % de l’infrastructure et de la population des Seychelles sont concentrées le long des côtes d’un petit nombre d’îles. Par ailleurs, les petits États insulaires en développement ont une taille physique limitée et sont exposés fréquemment à des cyclones, ouragans, sécheresses et tempêtes redoutables de par leur intensité.

Les conséquences du changement climatique et de l’élévation du niveau de la mer exposent les petits États insulaires en développement à des dégâts à la fois irréversibles et mortels. On peut observer des signes évidents de la dégradation de l’environnement, qui menacent la diversité des écosystèmes marins et des ressources exploitées afin d’assurer la subsistance et la sécurité alimentaire. L’érosion côtière fait également peser des menaces sur les établissements humains, l’infrastructure, les services sociaux et les installations touristiques, ainsi que sur l’agriculture de subsistance. Les problèmes de gestion des eaux, d’autre part, limitent les ressources en eau douce, tandis que les risques d’intrusion d’eau salée augmentent. Des populations déjà vulnérables sont davantage exposées aux risques de santé découlant des maladies transmises par vecteur telles que le paludisme et la dengue.

Dans leur ensemble, ces conséquences ne font que causer un stress social, culturel et économique supplémentaire aux petits États insulaires en développement, faisant ainsi peser une menace sur leur survie. Il suffit de se tourner vers les Maldives, en Asie, pour réaliser la gravité de l’élévation du niveau des mers. Selon les experts, les Maldives pourraient être inhabitables d’ici à 50 ans. Ce pays est littéralement en train d’être englouti par les eaux. Les perspectives pour les autres petits États insulaires en développement d’Afrique pourraient être tout aussi terrifiantes. Il n’y a pas longtemps de cela, en 2004, un gigantesque tsunami frappait l’Asie et entraînait des répercussions sous formes de puissantes vagues qui ont traversé l’océan Indien pour atteindre les côtes de l’Afrique de l’Est. Ces vagues déferlantes ont rencontré peu de résistance au large des Seychelles, inondant la capitale, Victoria.

À terme, des problèmes des plus graves se profilent à l’horizon pour les petits États insulaires en développement. Le PNUE, se fondant sur ses projections, classe l’île Maurice dans la catégorie des pays en situation de stress hydrique et les Comores dans celle des pays aux ressources limitées en eau d’ici à 2025. Le Cap-Vert appartient déjà à cette catégorie.

Le paradoxe du petit

Contrairement à la maxime de Schumacher, les grandes économies sont prédisposées à répartir les risques et les charges, à la fois dans le temps et dans l’espace, absorbant ainsi les impacts globaux du changement climatique. Dans le cas des petits États insulaires en développement, les choix sont réduits en raison de leur dispersion géographique, de leur éloignement et de leur isolement des marchés mondiaux. Les stratégies d’adaptation tendent à être moins nombreuses, avec une forte dépendance de l’aide extérieure pour ce qui des programmes de relèvement après une catastrophe. Le paradoxe est que les petits États insulaires en développement paient plus que leur juste part du fait de leur petitesse, et sont en train de « subventionner » le coût de la gestion des problèmes climatiques dont ils sont les moins responsables. La production annuelle combinée de dioxyde de carbone (CO2) de l’ensemble des petits États insulaires en développement représente moins de 1 % des émissions mondiales. Pourtant, les petits États insulaires en développement sont confrontés de façon disproportionnée à de plus grandes vulnérabilités.

Une définition uniforme est inopérante

Les critères utilisés pour définir les petits États insulaires en développement sont ambigus. Par exemple, tous les petits États insulaires en développement ne sont pas techniquement des « îles » même s’ils sont situés le long des côtes, comme dans le cas de la Guinée-Bissau. Ils ne sont pas tous non plus des « États en développement », le Cap-Vert, Maurice et les Seychelles étant en effet des pays à revenu intermédiaire. En se mettant ensemble, les petits États insulaires en développement ont pu constituer un groupe unifié pour faire face à leur vulnérabilité environnementale et être reconnus comme des « cas particuliers » dans des accords environnementaux multilatéraux comme la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC).

Nonobstant ce qui précède, la répartition, l’ampleur et la gravité de l’impact du changement climatique tendent à varier selon les petits États insulaires en développement. On a toutefois tendance à les mettre tous dans la même catégorie alors qu’il convient de tenir compte à la fois de leur homogénéité et de leur hétérogénéité. Faute de quoi, l’architecture internationale actuelle produit un effet inverse en élargissant en réalité l’espace de solution au niveau national et local. On devrait plutôt recourir aux processus internationaux pour souligner la nécessité de trouver des solutions personnalisées et endogènes pour les petits États insulaires en développement, qui tiennent compte de leurs trajectoires spécifiques de développement à l’épreuve du climat. Par exemple, selon le Rapport sur le développement humain de 2013, près de la moitié de la population en Guinée-Bissau vit en dessous du seuil de pauvreté de 1,25 dollar par personne et par jour. Cet exemple offre un contraste saisissant avec les Seychelles où moins de 1 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, ce qui classe le pays parmi les pays les plus riches au monde.

Le président des Seychelles, James Michel, a dit un jour: « Un accord équitable pour les petits États insulaires en développement signifie une structure de gouvernance des océans véritablement durable. Lorsqu’il est question de pêche ou de l’exploitation d’autres ressources, les océans semblent appartenir à tout le monde. Mais quand il s’agit des questions de durabilité des ressources, de conservation marine ou de lutte contre la pollution et la piraterie, les océans semblent n’appartenir à personne. » Ces paroles traduisent le constat que les petits États insulaires en développement se retrouvent seuls face à la hausse des températures et des autres impacts biophysiques du changement climatique.

Et après?

Quelles sont alors les perspectives qui s’offrent aux petits États insulaires en développement pour transformer leurs vulnérabilités et mieux se préparer à faire face aux incidences du changement climatique?

Avant tout, le capital social est d’une importance fondamentale dans les stratégies de relèvement et d’adaptation des communautés vulnérables. Investir dans les liens de parenté et autres formes de capital social augmente les chances d’être en mesure de rebondir après les catastrophes. Même avec la perte de la biodiversité, les pertes biophysiques peuvent être assimilées au genre de pertes de cultures qu’aucun effort d’adaptation ne peut compenser. Par exemple, qu’est-ce qui pourrait constituer une solution aux pertes de cultures pour les femmes productrices de riz en Afrique de l’Ouest qui seraient confrontées à des problèmes de salinisation des sols et d’invasion des mangroves? Comment pourraient-elles trouver une solution de rechange à cette tradition qui a longtemps constitué un élément essentiel de leur culture économique?

Deuxièmement, les institutions solides constituent des mécanismes essentiels pour l’élaboration d’une stratégie de réponse efficace, que ce soit par l’adaptation ou l’atténuation. Elles peuvent servir de cadre pour la formulation et le soutien des politiques en matière d’économie verte qui permettra à l’Afrique de rester en course. Les institutions peuvent également jouer le rôle de gardien et de régulateur en ce qui concerne la gestion, la répartition, la mesure et l’appropriation des ressources naturelles ainsi que des biens et services. Pour sortir d’une catégorie spéciale, les petits États insulaires en développement devraient réfléchir à des choix et des solutions innovatrices qui contribueront à les protéger davantage des phénomènes climatiques extrêmes et des chocs.

Troisièmement, la transformation économique et structurelle des petits États insulaires en développement appelle l’engagement de plusieurs acteurs – l’État, le secteur privé, la société civile et les partenariats public-privé. Par exemple, les institutions de qualité nécessaires pour introduire une nouvelle forme de démocratie délibérative agissant selon le principe de « responsabilités communes mais différenciées », sont celles à même d’exploiter les opportunités dans les secteurs de l’énergie et de l’agriculture pour se préparer à faire face aux risques climatiques. Le modèle actuel de croissance impulsée par les produits primaires et axée sur les exportations a besoin d’intégrer la diversification des exportations créatrice de valeur ajoutée. Cela s’avère nécessaire pour élargir l’assiette fiscale et faire profiter à une plus grande partie de la population les retombées de la croissance. Les petits États insulaires en développement doivent également investir dans les infrastructures afin d’optimiser les possibilités commerciales et de stimuler l’apport d’investissements en faveur de leurs économies.

Quatrièmement, « small is beautiful » s’agissant de l’abondance des richesses en ressources naturelles. Les petits États insulaires en développement ont besoin de mieux exploiter leurs richesses en ressources naturelles. La croissance verte inclusive est une perspective qui pourrait se concentrer sur des services abordables dans les domaines de l’énergie renouvelable, de la promotion des emplois verts et de la réduction de la pauvreté. Déjà, l’intérêt pour ces domaines et le développement à faible émission de carbone pour réduire la dépendance des combustibles fossiles ne cesse de croître. Par exemple, au nombre des objectifs et cibles en matière d’énergie renouvelable du Cap-Vert et les objectifs pour 2020-2030 figurent l’extension de la couverture du réseau d’électricité à 100 % de sources renouvelables et l’accroissement de l’efficacité énergétique de 30 % grâce à la promotion des nouvelles technologies.

L’objectif de Maurice est de porter la part des énergies renouvelables telles que l’énergie solaire, l’énergie éolienne, l’énergie hydraulique, le biogaz et les gaz d’enfouissement, à environ 35 % en 2025.

Le Vice-Président des Seychelles a fait remarquer à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies que les petits États insulaires en développement étaient des destinations parfaites et avaient une taille idéale pour des projets pilotes en matière d’énergie renouvelable ou dans d’autres domaines, qui pourraient être ensuite déployés dans d’autres pays à une plus grande échelle. Tout bien considéré, la petite taille des petits États insulaires en développement pourrait effectivement être une bénédiction.

En outre, les petits États insulaires en développement ont la possibilité d’expérimenter de bonnes solutions technologiques susceptibles d’accélérer leur course vers l’économie verte. Des solutions techniques radicales peuvent les protéger contre les vulnérabilités telles que la volatilité du cours du pétrole, tandis que la poursuite du développement intégré leur permettra d’accroître la résilience des écosystèmes et améliorer la sécurité humaine.
Parmi les secteurs clefs de la croissance figure le tourisme, qui est une source majeure de recettes. Représentant actuellement le premier secteur économique de la plupart des petits États insulaires en développement d’Afrique, le tourisme présente un énorme potentiel en matière de croissance et de développement. L’écotourisme peut créer des emplois, générer des revenus et aider à préserver les ressources naturelles, tout en promouvant la mise en œuvre d’un plan d’action pour la biodiversité.

Les services climatologiques et l’infrastructure d’observation utilisés pour prédire les conditions météorologiques et identifier les phénomènes climatiques extrêmes tendent à présenter des faiblesses dans les endroits où on en a le plus besoin. L’investissement dans la science du climat et les services climatologiques faciliterait la production de données de haute qualité et la mise au point de systèmes d’alerte précoce. Cela faciliterait également le lancement de travaux de recherche indispensables dans les domaines de l’impact du changement climatique, de la vulnérabilité et de l’adaptation. Autant de choses qui permettraient de mieux éclairer les décisions politiques.

Enfin, et ce n’est pas le moins important, s’il est vrai que les petits États insulaires en développement ont fait de grands efforts pour mettre en œuvre les mesures d’adaptation au changement climatique, les progrès accomplis jusqu’ici tendent à porter essentiellement sur la sensibilisation du public, la recherche et l’élaboration de politiques plutôt que sur la mise en œuvre, principalement en raison des contraintes financières. Cela pourrait peut-être s’expliquer par le fait qu’il n’existe qu’un nombre limité d’options de financement en matière d’adaptation (par exemple, les facilités spécialisées du FEM en matière d’adaptation, le Fonds d’adaptation et le Mécanisme d’assurance contre les risques de catastrophe de la Banque mondiale). Aucun de ces mécanismes ne peut répondre ni à l’ampleur ni au besoin de ressources nécessaires pour faire face au problème du changement climatique. Si l’on veut donner une chance aux petits États insulaires en développement, de nouveaux acteurs et des partenaires en matière de financement s’avèrent rapidement nécessaires pour soutenir les mesures d’adaptation au changement climatique.

Conclusion

Les petits États insulaires en développement d’Afrique tendent à être occultés dans la littérature dominante sur le changement climatique. Leurs vulnérabilités particulières sont noyées dans un récit qui se concentre sur les impacts biophysiques et ne fait qu’une référence superficielle à la question de la vulnérabilité sociale. Les collectivités locales sont en première ligne de la lutte contre les impacts du changement climatique. Elles s’adaptent déjà à la variabilité et aux impacts des changements climatiques. Après tout, elles ont une longue histoire de survie face aux changements sociaux et environnementaux, grâce à une richesse de connaissances autochtones qui comprennent des systèmes complexes de prévisions météorologiques, ainsi que des pratiques d’atténuation et d’adaptation.
Toutefois, les techniques modernes et efficaces pour assurer l’adaptation les années à venir n’émergeront pas du néant. Il faudra les faciliter, les structurer et les organiser dans un cadre institutionnel. L’espace de solution doit donc être élargi et il faudra promouvoir des moyens de mise en œuvre économiques, participatifs et durables.

Schumacher n’avait peut-être pas tort, après tout, peut-être que « small is beautiful ». La beauté des petits États insulaires en développement réside dans l’ingéniosité de leurs peuples, leur esprit d’entreprise, leur capacité à relever les nombreux défis posés par le changement climatique, à se réinventer et à trouver un regain de résilience dans leurs institutions, leurs liens sociaux, leurs réseaux et leurs alliances de réciprocité.

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