Gara Djebilet : l’Algérie sort du placard un vieux projet pour devenir leader africain de l’acier

(Agence Ecofin) - Fin mars 2021, les autorités algériennes ont conclu un accord avec un consortium composé d’entreprises chinoises pour développer le grand projet de fer Gara Djebilet. Après de multiples tentatives infructueuses, Alger semble convaincu qu’il concrétisera cette fois un rêve qu’il nourrit depuis des décennies. S’il arrive à exploiter les milliards de tonnes de réserves de ce gisement (qui n’a rien à envier aux blocs de Simandou en Guinée), les bénéfices seront énormes et ce serait un pas de géant vers son objectif de devenir le premier producteur d’acier en Afrique.

Après la signature du mémorandum d’entente entre l’Algérie et un groupe chinois pour développer Gara Djebilet, plusieurs médias ont ramené sur la table un vieil accord liant le gouvernement algérien et le Maroc.

Le gisement situé à près de 140 km au sud-est de Tindouf.

En effet, selon la Déclaration maroco-algérienne faite à Rabat le 15 juin 1972 portant sur le tracé des frontières et signée par Hassan II et Houari Boumediene, l’exploitation de la mine Gara Djebilet devait être confiée à une société mixte des deux pays. Selon les termes de la convention bilatérale, le gisement situé à près de 140 km au sud-est de Tindouf, point sensible du conflit au Sahara occidental, se trouve sous la « souveraineté » des Algériens, mais le Maroc dispose de « possibilités d’évacuation et d’embarquement du minerai de fer par un port marocain situé sur l’Atlantique » qu’il devrait offrir à l’entreprise mixte.

En effet, selon la Déclaration maroco-algérienne faite à Rabat le 15 juin 1972 portant sur le tracé des frontières et signée par Hassan II et Houari Boumediene, l’exploitation de la mine Gara Djebilet devait être confiée à une société mixte des deux pays.

Si l’application de cet accord a été compromise avec les tensions entre les deux pays dans les années qui ont suivi, la convention n’a jamais été officiellement « résiliée » et le royaume chérifien disposerait toujours de l’option de se référer à la Cour internationale de Justice.

Aujourd’hui, avec l’enthousiasme dont fait preuve l’Etat algérien dans le cadre de son partenariat avec le consortium chinois, il semble bien que la convention signée avec le Maroc soit jetée aux oubliettes, ou que l’Algérie ne craint pas de potentielles représailles de la part de son voisin.

« Le bon partenariat dans le bon timing »

Pour le gouvernement algérien, le salut dans le développement du projet Gara Djebilet viendra de la Chine. Le protocole d’accord annoncé le 30 mars dernier a été conclu entre l’entreprise nationale algérienne du fer et de l’acier (Feraal) et un consortium composé de China International Water & Electric Corp., Heyday Solar et la société sidérurgique Metallurgical Corp Of China. Les deux parties vont créer une coentreprise pour développer un projet dont le coût pourrait dépasser les 2 milliards de dollars.

La Tour MCC, siège du groupe à Pékin.

« C’est la première fois dans l’histoire de ce gisement que nous parvenons à concrétiser un partenariat d’envergure avec un consortium de renommée mondiale, dont notamment la société MCC, notre partenaire technologique, un géant dans son domaine », commente, enthousiaste, le ministre algérien de l’Energie et des Mines Mohamed Arkab.

« C’est la première fois dans l’histoire de ce gisement que nous parvenons à concrétiser un partenariat d’envergure avec un consortium de renommée mondiale, dont notamment la société MCC, notre partenaire technologique, un géant dans son domaine ».

Il faut noter que le partenariat intervient à un bon moment, alors que le cours du fer est en hausse depuis plusieurs mois. Le fer est le produit minier ayant le plus performé sur les marchés en 2020, franchissant en décembre la barre des 150 dollars. Cette tendance haussière s’est poursuivie en ce début d’année, car le prix du fer a atteint plus de 180 dollars en avril, une barre qu’il n’a plus dépassée depuis mai 2011.

L’état actuel du marché devrait donc favoriser les plans de l’Algérie pour la mine Gara Djebilet, qui héberge selon certaines estimations 3,5 milliards de tonnes de réserves, à haute concentration. La première phase du projet consistera en l’exploitation d’une partie de la mine contenant des réserves de 1,7 milliard de tonnes de fer. L’entrée en production est prévue pour 2025 au plus tard.

Devenir un hub métallurgique

En 2016, l’Algérie a produit 2,5 millions de tonnes de fer et d’acier et visait à l’époque une production annuelle de 12 millions de tonnes à l’horizon 2020. Son objectif était de combler les besoins nationaux (plus de 9 millions de tonnes par an en 2015) qui le poussaient à en importer. Au fil des années, les besoins ont augmenté et les objectifs revus à la hausse. « Nos capacités productives actuelles estimées à 5 millions de tonnes/an de fer et d’acier, atteindront 12 millions de tonnes dans 4 à 5 ans et 16 millions à l’horizon 2030, ce qui nécessite de fournir 20 millions à 25 millions de tonnes/an [de matière première, Ndlr] », déclarait en 2018 le ministre de l’Industrie et des Mines d’alors, Youcef Youssoufi.

Gara Djebilet : un gisement évalué à 3,5 milliards de tonnes.

C’est donc tout naturellement que le pays fonde d’énormes espoirs sur le projet Gara Djebilet, qui devrait permettre de créer des milliers d’emplois directs comme indirects et générer des milliards de revenus pour les caisses nationales.

C’est donc tout naturellement que le pays fonde d’énormes espoirs sur le projet Gara Djebilet, qui devrait permettre de créer des milliers d’emplois directs comme indirects et générer des milliards de revenus pour les caisses nationales.

S’il est mis en production, le projet peut approvisionner les aciéries locales et aider à réduire les importations. Selon le ministre actuel Mohamed Arkab, l’entrée en production du gisement permettra « de combler les besoins du pays, estimés en 2020, à 10 millions de tonnes ». Certaines estimations (non encore officielles) parlent d’une capacité de production annuelle de 12 millions de tonnes pour le projet Gara Djebilet, ce qui permettrait non seulement de combler les besoins actuels, mais également d’exporter des produits bruts comme des produits semi-finis. L’Algérie ambitionne en effet depuis plusieurs années de devenir un hub métallurgique et s’active pour développer le secteur.

Objectif diversification !

L’Algérie est le troisième producteur africain de pétrole et premier producteur de gaz naturel du continent. Comme la plupart de ses pairs, le pays cherche à diversifier ses sources de recettes, en témoigne son vaste programme de diversification dénommé « Le nouveau modèle de croissance ». Selon les détails du plan dont l’exécution s’étalera jusqu’en 2030, il s’agira d’augmenter la contribution au PIB de plusieurs secteurs comme le secteur manufacturier, les activités commerciales ou encore l’agriculture.

Mohamed Arkab : « C’est la première fois dans l’histoire de ce gisement que nous parvenons à concrétiser un partenariat d’envergure »

Si en Algérie le secteur minier n’est pas très développé, l’exploitation de Gara Djebilet pourrait être pour l’Etat une excellente occasion de remédier à cela. En dehors des richesses minérales de fer, il faut préciser que le sous-sol algérien héberge également des milliards de tonnes de phosphate et d’immenses réserves de manganèse. Les autres matières premières comprennent l’or, l’uranium, le cuivre, le zinc, le plomb, mais également les terres rares ou encore le tungstène.

Pour concrétiser tout ce potentiel inexploité, il faudra peut-être pour l’Algérie repenser sa réglementation actuelle obligeant les investisseurs étrangers à former une coentreprise avec une société algérienne, dans laquelle ils ne détiendront pas plus 49 % du capital (règle 51/49). Si le système a porté ses fruits dans le secteur des hydrocarbures, il peut être un sérieux frein aux investissements miniers.

Louis-Nino Kansoun