(Agence Ecofin) - Le 6 avril 2016, lors de la prise de pouvoir de Patrice Talon succédant à Thomas Boni Yayi, des millions de Béninois étaient convaincus d’être à l’aube d’une nouvelle ère, censée refaçonner le paysage socio-économique de leur pays. Aujourd’hui, après cinq ans de gouvernance il va sans dire que l’impact de l’ancien magnat du coton dans les secteurs économique, social, mais également politique aura fait couler beaucoup d’encre et accentué les clivages entre ses partisans et ses opposants. Mais à l’aube d’une nouvelle élection présidentielle, celui qui est parfois surnommé « le compétiteur né » aura surtout à défendre le bilan des réformes qu’il a entreprises depuis une moitié de décennie. Il va devoir convaincre les électeurs que le miracle économique promis s’est bien produit.
De solides performances macroéconomiques
Sur le plan économique, le bilan du président Patrice Talon est plutôt reluisant. Grâce à un plan ambitieux de développement que sert une politique rigoureuse de gestion des finances publiques, le dirigeant a obtenu des résultats macroéconomiques solides.
Un bilan économique plutôt reluisant.
Entre 2011 et 2015, la croissance moyenne du Bénin était de 4,5 % en moyenne. Au cours des quatre premières années du gouvernement Talon (2016-2019), elle est passée à 5,5 %. En 2020, malgré la pandémie de Covid-19 et les conséquences de la fermeture des frontières nigérianes, le pays a été l’un des seuls au monde à maintenir une croissance économique positive, estimée à 2,3 % par la Banque africaine de Développement (BAD).
En 2020, malgré la pandémie de Covid-19 et les conséquences de la fermeture des frontières nigérianes, le pays a été l’un des seuls au monde à maintenir une croissance économique positive, estimée à 2,3 % par la Banque africaine de Développement
Au fil des années, le gouvernement de l’ancien magnat du coton a également réussi à imposer une courbe descendante au déficit budgétaire qui est même passé à 0,5 % en 2019. Avec la pandémie de Covid-19, il est repassé à 3 % l’année dernière, ce qui correspond à la limite supérieure des critères de convergence de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Quant à l’inflation, elle est toujours restée en dessous des 3 % exigés par l’UEMOA.
« L’inflation devrait se situer à 1,8 % en 2021, en dessous des critères de convergence de 3 % de l’Union économique et monétaire ouest-africaine. Le déficit budgétaire devrait s’améliorer et atteindre 3 % du PIB en 2021 et 2,7 % l’année suivante », prévoit la BAD, confirmant le bon élan pris par le pays. De plus, malgré l’augmentation de la dette du pays depuis 2016, elle s’est stabilisée à un peu plus de 41 % depuis 2018 (41,2 % en 2019 d’après le FMI). Même si la pandémie de coronavirus a augmenté la dette publique en 2020, la plupart des institutions internationales s’accordent à dire que celle-ci reste soutenable.
Des réformes et investissements ambitieux…
A travers son PAG (Programme d’action du gouvernement) qui mobilise 15 milliards $ sur cinq ans, l’Etat béninois a multiplié sous le mandat de Patrice Talon des investissements importants sur fond de réformes économiques.
« 2600 kilomètres de routes impactées par la mise en œuvre du PAG.»
D’après la BAD, les investissements publics ont connu une hausse importante, passant de 21 % du PIB en 2016 à 29,6 % en 2019 ; une situation qui a contribué à soutenir la croissance économique du pays. Le secteur des infrastructures a d’ailleurs été particulièrement ciblé, notamment dans le cadre d’aménagements ou de constructions de routes dans le pays.
Dans le cadre du projet dit « asphaltage », plusieurs chantiers routiers ont été ouverts dans les principales villes du pays. Selon le ministère béninois des Transports, en quatre années, l’Etat béninois a construit plus de 771 kilomètres de routes bitumées. « Nous avons aujourd’hui 1385 kilomètres de routes en chantier, en cours d’exécution et nous avons 445 kilomètres de routes qui sont aujourd’hui en cours de démarrage […] ça fait globalement aujourd’hui 2600 kilomètres de routes impactées par la mise en œuvre du PAG », avait déclaré le ministre des Transports Hervé Hehomey, lors d’une interview réalisée l’année dernière.
Selon le ministère béninois des Transports, en quatre années, l’Etat béninois a construit plus de 771 kilomètres de routes bitumées.
Dans le cadre de sa stratégie d’amélioration des performances du secteur énergétique, le gouvernement a consacré 10 % de ses projets prioritaires au renforcement de la capacité de production électrique du pays. Entre 2016 et 2020, la capacité propre de production d’électricité du Bénin est passée de 0 Mégawatt (MW) à au moins 180 MW. Cette amélioration a été portée par l’inauguration historique en 2019 de la centrale thermique de Maria-Gléta, dotée d’une capacité de 127 MW, ainsi que par la réhabilitation des centrales thermiques Wartsila de la Société béninoise d’énergie électrique pour 30 mégawatts et celle de la Turbine à Gaz de la CEB d’une puissance de 23 MW. D’après le gouvernement, cette capacité permettra de combler environ 60 % des besoins énergétiques des ménages, artisans et industriels en période de pointe.
« Le taux moyen d’électrification (zones urbaines et rurales) est passé de 27,7 % en 2015 à 30,6 % en 2020, soit une augmentation d’environ 3 % », indique le ministère de l’Energie sur son site.
A ces investissements infrastructurels se sont ajoutés des réformes drastiques qui ont permis non seulement d’améliorer le climat des affaires dans le pays, mais également de renforcer la performance de plusieurs entreprises publiques. Grâce à une stratégie accrue d’investissements dans le secteur du numérique afin de stimuler l’entrepreneuriat, le Bénin est devenu l’un des premiers pays au monde (avec l’Estonie) où la création d’entreprises est la plus rapide. Selon le dernier classement Doing Business, le pays occupe la 149e place sur 190 pays, mais ses performances en matière d’amélioration du climat des affaires ont connu d’énormes progrès.
Mais une économie encore peu diversifiée
L’un des points d’ombre du bilan du président Patrice Talon est la très faible diversification de l’économie. Bien que les différents chantiers infrastructurels aient soutenu la croissance, l’économie reste fortement tributaire des exportations de coton. Cela, malgré l’adoption en 2017, d’un Plan stratégique de développement du secteur agricole s’étalant sur la période 2017-2025.
« L’économie est confrontée à un déclin tendanciel de la productivité globale des facteurs dans l’agriculture et l’industrie. La productivité agricole reste faible et la structure industrielle repose sur les industries agroalimentaires, manufacturières, les bâtiments et travaux publics », indique la BAD. Bien que des investissements importants aient été mis en place pour renforcer l’agriculture nationale en s’appuyant sur plusieurs secteurs (ananas, anacarde, soja), le coton occupe près de 70 % de la valeur des exportations agricoles du pays en 2019.
Bien que des investissements importants aient été mis en place pour renforcer l’agriculture nationale en s’appuyant sur plusieurs secteurs (ananas, anacarde, soja), le coton occupe près de 70 % de la valeur des exportations agricoles du pays en 2019.
Selon un rapport de la direction de la statistique agricole, le coton contribue pour au moins 13 % du PIB, soit près de la moitié de la contribution totale du secteur agricole (28,04 % du PIB en 2019).
Mais peu d’investissements sociaux.
D’autre part, malgré la création de nombreux emplois, beaucoup de jeunes restent exposés au sous-emploi. « Le taux de chômage faible (2,4 %) dans le pays cache un niveau de sous-emploi élevé, estimé à 72 %. Il renseigne sur le fort taux d’emplois précaires existant dans le pays », indiquait un rapport-pays de la commission économique pour l’Afrique (CEA) en 2018. En plus d’être très largement informelle (90 % de la population active selon la Banque mondiale), l’économie reste soumise à l’évolution de celle du géant voisin nigérian. Même si elle n’a eu qu’un léger effet sur la croissance du pays, la fermeture récente de la frontière avec la première économie d’Afrique a affecté de nombreux commerces du pays, qui dépendaient de la réexportation de produits vers Abuja.
« Le taux de chômage faible (2,4 %) dans le pays cache un niveau de sous-emploi élevé, estimé à 72 %. Il renseigne sur le fort taux d’emplois précaires existant dans le pays »
Enfin, l’un des principaux reproches faits au gouvernement de Patrice Talon est la faiblesse des investissements sociaux, même si les dernières années de la présidence du chef d’Etat ont été marquées par une augmentation du budget destiné au secteur. Le taux de pauvreté n’a que très faiblement reculé. Selon la Banque mondiale, il est passé de 40,1 % en 2015 à 38,2 % en 2020, une situation que pourrait aggraver la pandémie de Covid-19.
Une démocratie du Prince ?
Accusé de dérives dictatoriales par ses plus farouches opposants, Patrice Talon a définitivement apposé sa marque dans l’histoire démocratique du Bénin. Dans un style de gouvernance qui a souvent été comparé à une « dictature du développement », le chef d’Etat a fait preuve d’un pragmatisme qui a ébranlé l’image de démocratie paisible dont jouissait le pays depuis la conférence nationale des forces vives de la nation en 1990.
Un recul de la démocratie et un effondrement de la participation électorale.
En effet, l’organisation d’élections législatives sans aucun parti d’opposition en 2019, marquée par une coupure totale d’internet, suivie de violences post-électorales meurtrières, a conduit à la formation d’un paysage politique dominé par le pouvoir en place. Désormais le parlement est composé de deux partis politiques acquis à la cause du chef de l’Etat. De plus, de nouvelles dispositions réglementaires rendent difficiles la capacité des opposants de Patrice Talon à se présenter à la prochaine présidentielle.
« Les partis de l’opposition ont été exclus des dernières élections législatives et municipales à la faveur de règles qui ont été adoptées par la majorité. Ils ne peuvent pas, dans ces conditions, avoir de candidats à la présidentielle. […] Les lois de notre République sont antidémocratiques, c’est ça le fond du problème », déplorait le politologue béninois Expédit Ologou, dans les colonnes du Monde.
« Les partis de l’opposition ont été exclus des dernières élections législatives et municipales à la faveur de règles qui ont été adoptées par la majorité. Ils ne peuvent pas, dans ces conditions, avoir de candidats à la présidentielle.»
Plusieurs rapports d’organisations internationales comme l’ONG Freedom House et l’Economist Intelligence Unit (EIU) font d’ailleurs état d’un recul de la démocratie au Bénin. De plus, de nombreux médias locaux dénoncent un code du numérique trop contraignant qui est de nature à réduire selon eux la liberté de la presse.
Réfutant toute accusation de dictature, Patrice Talon dit plutôt vouloir créer un modèle de démocratie plus « responsable » pour mettre fin à la « pagaille » qui s’est installée ces dernières années. Quoi qu’il en soit il semble clair que les années Talon ont été marquées plus par les acquis économiques que par les avancées sociales et politiques.
Reste donc à voir si cela suffira à convaincre au moins une partie de la population opposée à ses méthodes qui a déjà eu cinq ans pour juger ses capacités et dont le taux d’abstention aux dernières législatives (22 % de participation contre 66 % en 2015) avait déjà sonné comme un désaveu.
Moutiou Adjibi Nourou
Johannesburg, Afrique du Sud : « Faire place au changement : façonner la prochaine ère de prospérité de l’Afrique »