(Agence Ecofin) - Créée en 1919, l’American Petroleum Institute qui compte les plus grandes entreprises du secteur pétro-gazier aux USA et engrange près de 240 millions USD de revenus annuels, est devenu une force politique de premier plan. Elle fait notamment du lobbying auprès du Congrès pour le compte de l’industrie, et récemment, il a été découvert qu’elle mène des actions ciblées auprès de pouvoirs publics pour mettre à mal les nouvelles politiques du gouvernement américain en faveur du climat. Des actions commanditées par les compagnies pétrolières, principalement les majors. Un constat qui vient remettre en question la sincérité de leur engagement climatique. Décryptage.
Influence
Dans son rapport annuel sur l’environnement publié en avril dernier, Shell a énormément insisté sur ses investissements dans les énergies propres et ses projets dans ce sens. Le document indique notamment que la société envisage d’installer des centaines de milliers de stations de recharge pour véhicules électriques dans le monde, dans un élan de compensation des dommages causés par l’exploitation des énergies fossiles. Aussi cette action s’inscrit-elle dans la droite ligne des perspectives reluisantes de l’industrie des voitures électriques, la société cherchant à se positionner sur ce segment. Au même moment, le géant a révélé dans un autre document avoir appuyé les actions de l’American Petroleum Institute (API) avec 10 millions de dollars en 2020.
The American Petroleum Institute receives millions from oil companies—and works behinds the scenes to stall or weaken legislation.
— The Nation (@thenation) July 21, 2021
https://t.co/hU9KYpVAJk
Des sources proches de l’API indiquent d’ailleurs que la société anglo-néerlandaise en est l’un des plus grands appuis. Avec elle, on retrouve ExxonMobil, Chevron et BP, dont les contributions n’ont toutefois pas été publiées.
Contrairement aux déclarations officielles de Shell, Mike Sommers, le directeur général de l’API, s’est montré particulièrement acerbe vis-à-vis des politiques en faveur du climat de la nouvelle administration américaine. Il s’en est notamment pris au projet de financement des bornes de recharge de véhicules électriques en affirmant que « cette transition précipitée vers les véhicules électriques fait partie d'une action gouvernementale visant à limiter le choix des Américains en matière de transport ».
Analysant cette déclaration, The Guardian indique : « Ces liens financiers étroits soulignent le pouvoir et l'influence de l'API dans l'ensemble de l'industrie pétrolière et gazière, et le rôle déterminant du groupe commercial dans la mise en place d'obstacles majeurs aux nouvelles politiques et législations climatiques ».
« Ces liens financiers étroits soulignent le pouvoir et l'influence de l'API dans l'ensemble de l'industrie pétrolière et gazière, et le rôle déterminant du groupe commercial dans la mise en place d'obstacles majeurs aux nouvelles politiques et législations climatiques ».
Sous l’administration Biden, on commence à ne plus compter le nombre de fois ou l’API s’est opposée à des politiques environnementales.
Il faut rappeler qu’en 1998, après que les pays eurent signé le protocole de Kyoto pour aider à réduire les émissions de carbone, l'API avait élaboré une campagne de désinformation à plusieurs millions de dollars pour assurer que le changement climatique n’était pas un problème, rapporte notre source.
Au cours des vingt dernières années, l’API a joué un rôle clé dans le blocage de textes visant à protéger l’environnement. Sous l’administration Trump où les producteurs de schiste ont reçu plusieurs milliards d’aides et d’allègements fiscaux, le groupe de pression s’est introduit à tous les niveaux de l’exécutif. Entre autres exemples, l’ex-secrétaire d’État Rex Tillerson, qui était le patron d’Exxon Mobil et autrefois membre du Conseil d’administration de l’API.
Un flot ininterrompu de critiques
Depuis plusieurs semaines, les critiques accusent les majors de l’industrie d’utiliser l’API comme couverture pour faire passer leurs messages dans un contexte où il n’est plus acceptable de nier le changement climatique. Ceci alors même qu’elles prétendent prendre l'urgence climatique au sérieux. De nombreux médias américains ont rapporté que l’API agit dans les coulisses du Congrès pour bloquer ou affaiblir les législations environnementales.
We are here because fossil fuel companies polluted, lied about it at industrial scale, and corrupted politics with dark money. Period. https://t.co/HEU8QF3BtV
— Sheldon Whitehouse (@SenWhitehouse) July 21, 2021
Suite au tollé créé par ces révélations, Sheldon Whitehouse, le sénateur démocrate du Rhode Island et critique virulent de l’industrie pétrolière, a accusé l'API de « mentir à une échelle industrielle massive sur la crise climatique afin de bloquer la législation visant à lutter contre le réchauffement de la planète », en complicité avec les majors.
Sheldon Whitehouse, le sénateur démocrate du Rhode Island, a accusé l'API de « mentir à une échelle industrielle massive sur la crise climatique afin de bloquer la législation visant à lutter contre le réchauffement de la planète », en complicité avec les majors.
Au milieu de la tourmente, Shell a défendu son financement en déclarant que, bien qu'elle soit « en désaccord avec certaines des politiques de l'API, la société continue de siéger à son Conseil d'administration et au comité exécutif afin d'avoir un impact positif plus important de l'intérieur ». Et d’ajouter que son influence a permis à l'API (qui représente environ 600 sociétés de forage, raffineurs et autres intérêts tels que les fabricants de plastique) de soutenir une taxe sur le carbone au début de l’année.
Implosion en perspective pour l’API ?
Face à la persistance et l’engagement sans faille de la nouvelle administration américaine en faveur du climat, certains signes indiquent que l'influence de l'API pourrait s'affaiblir. En janvier dernier, le producteur français TotalEnergies a annoncé qu’il ne renouvellera pas son adhésion au groupe pour 2021. Il a dénoncé le soutien de ce dernier à des candidats ayant affiché leur désaccord avec l’Accord de Paris, pointant du doigt l’opposition du président Trump.
TotalEnergies a annoncé qu’il ne renouvellera pas son adhésion au groupe pour 2021. Il a dénoncé le soutien de ce dernier à des candidats ayant affiché leur désaccord avec l’Accord de Paris, pointant du doigt l’opposition du président Trump.
« Dans le cadre de notre Ambition Climat publiée en 2020, nous nous sommes engagés à nous assurer que les associations professionnelles auxquelles nous adhérons portent des positions et des messages alignés avec ceux du groupe dans la lutte contre le réchauffement climatique […] C’est un gage indispensable de la crédibilité de notre stratégie. » a écrit le patron de la société, Patrick Pouyanné sur Twitter.
Total SA CEO Pouyanne Says Climate Change Is a Fact https://t.co/6f1SeroiLO pic.twitter.com/kh1HHC4Lwp
— MySourceSpot (@mysourcespot) October 13, 2017
Chez les organisations de protection de l’environnement, la décision a été vivement saluée. Il faut dire que l’API n’était plus alignée sur la vision de Total sur trois points : la déréglementation sur les émissions de méthane à laquelle le groupe a montré son opposition, l’opposition aux soutiens aux véhicules électriques et les écarts de position en matière de prix du pétrole.
En interne, les actionnaires accentuent la pression sur les entreprises afin qu’elles revoient leur posture vis-à-vis de certains engagements climatiques clés. Shell, Exxon ou encore Chevron sont pressées de réagir face à l’urgence. En cas d’adoption de positions pro-climat, leur participation à l’API sera remise en cause.
Olivier de Souza