(Agence Ecofin) - Le 20 avril, le président tchadien Idriss Déby Itno est décédé après avoir été blessé au front, dans sa lutte contre le groupe politico-militaire Front pour l'Alternance et la Concorde au Tchad (FACT). Les affrontements entre les forces gouvernementales et ce groupe de militants s’étaient intensifiés quelques jours plus tôt, en pleine échéance électorale. Pour de nombreux analystes, ces heurts devraient se poursuivre et affecter la stabilité de la production pétrolière nationale, principal produit d’exportation du pays.
« Les forces de la résistance nationale sont aux portes de N’Djamena. Nous sommes là pour faire sonner les cloches, non pas de la haine et de la division, mais plutôt celles de la paix et de la nouvelle espérance (…) Nous marcherons sur la capitale N'Djamena avec assurance, mais surtout avec courage et détermination », indique un communiqué du Front pour l'Alternance et la Concorde au Tchad (FACT), contre lequel l’armée tchadienne se bat depuis plusieurs jours. Ce communiqué publié au lendemain de la mort du chef de l’État annonce les couleurs et fait planer le spectre de l’instabilité politique sur le pays.
« L'instabilité qui commence et les problèmes de sécurité potentiels augmentent les risques de dégringolade de la production. » (S&P)
Né en 2016, le FACT est composé en majorité de membres de l'ethnie Toubou, celle de l’ancien président Hissène Habré qui avait été chassé du pouvoir en 1990 par Déby. Son objectif annoncé depuis le départ est d’arracher le pouvoir au clan Déby, « afin d’instaurer l’alternance et la démocratie », mais surtout de favoriser une meilleure redistribution de la rente pétrolière. Au Tchad, on accusait le président décédé de ne partager les recettes pétrolières qu’avec sa tribu, les Zaghawas (2% de la population) et d’affamer les sensibilités hostiles à sa politique.
D’ailleurs, à ce sujet, un article du think tank américain Atlantic Council publié le 20 avril disait : « L'incapacité de Déby à faire fructifier les milliards de dollars de recettes pétrolières accumulées depuis que le Tchad a commencé à exporter sa production, est devenue un point particulièrement sensible pour tout Tchadien ne faisant pas partie de la tribu Zaghawa. Cette dernière a le plus bénéficié du système de favoritisme corrompu que la richesse pétrolière a créé ».
« L'incapacité de Déby à faire fructifier les milliards de dollars de recettes pétrolières accumulées depuis que le Tchad a commencé à exporter sa production, est devenue un point particulièrement sensible pour tout Tchadien.»
Après sa constitution, le FACT s’est installé en Libye où il était engagé aux côtés des milices de Misrata qui se battaient contre l’armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar. Le groupe était l’un des acteurs clés de la bataille pour le contrôle des champs pétrolifères libyens. L’année d’après, il a signé un pacte de non-agression avec les forces de l’Est et se bat désormais aux côtés du chef militaire.
Le FACT s’est installé en Libye où il s’est d’abord engagé aux côtés des milices de Misrata.
Si leur objectif est la prise du pouvoir au Tchad, leur retour dans le pays est le résultat des pressions de la Communauté internationale en Libye pour faire partir les étrangers participant au conflit. Les protagonistes libyens qui essayaient de trouver un accord de paix se sont donc exécutés, et le groupe a été prié de rejoindre ses terres, explique le politologue Evariste Ngarlem Toldé, doyen de la Faculté des sciences juridiques et économiques à l’Université de N’Djamena.
Si leur objectif est la prise du pouvoir au Tchad, leur retour dans le pays est le résultat des pressions de la Communauté internationale en Libye pour faire partir les étrangers participant au conflit.
En rentrant au Tchad, le FACT s’est équipé de matériel militaire moderne obtenu en Libye, certainement en échange de leur engagement au combat. « Leur force, ce sont les armes qu'ils ont amenées de Libye. Il faut s'attendre encore à d'autres combats », avertit l'analyste politique Narcisse Laldjim qui rejoint de nombreux observateurs évoquant un bis repetita de la situation en Libye après la chute de Mouammar Kadhafi en 2011.
La production menacée
De nouveaux affrontements entre l’armée tchadienne et la branche armée du FACT paraissent désormais inévitables. Pour l’un comme l’autre des camps, le contrôle des champs pétroliers jouera indubitablement un rôle clé pour le succès. Comme en Libye, les périmètres de production d’huile revêtiront dorénavant un caractère stratégique spécial. Le FACT le sait, et pour avoir connu les enjeux de la question lors de son périple libyen, on imagine que cela fait déjà partie de son plan de bataille. « On ne sait pas encore quel impact cela aura sur la production de brut, mais l'instabilité qui commence et les problèmes de sécurité potentiels augmentent les risques de dégringolade de la production. », a commenté Sami Yahya, analyste principal de l'énergie chez S&P Global Platts Analytics.
En cas de suspension de la production pétrolière, les finances publiques déjà affectées par la chute des prix et une dette publique pesante, devraient être lourdement atteintes. La raréfaction des pétrodollars qui s’ensuivra va alors entraîner une crise économique qui conduira entre autres à une inflation. La crise sociale, sécuritaire, politique et économique qui se profile pourrait s’étendre au-delà des frontières tchadiennes. Cela va par la suite fragiliser la stabilité de la région Afrique centrale, avec un impact potentiel sur l’ensemble du secteur pétrolier régional.
La raréfaction des pétrodollars qui s’ensuivra va alors entraîner une crise économique qui conduira entre autres à une inflation. La crise sociale, sécuritaire, politique et économique qui se profile pourrait s’étendre au-delà des frontières tchadiennes.
Le pays a produit plus de 140 000 barils de pétrole par jour l’année dernière, ce qui en fait le 10e producteur du continent. L’huile est exportée via un pipeline long de 1050 km qui traverse le Cameroun, jusqu'à l'installation flottante de stockage et de déchargement de Kome Kribi-1, vers le marché international.
Le pays a produit plus de 140 000 barils de pétrole par jour l’année dernière.
Le Cameroun par exemple pourrait ne plus encaisser les frais de transit du brut tchadien, et le verrou instauré par le Tchad pour contrer les velléités offensives de Boko Haram pourrait très vite sauter.
L’année dernière, le Cameroun a perçu près de 35 milliards de FCFA de droits de transit sur le brut tchadien. Par ailleurs, la dette actuelle du Tchad envers ses créanciers privés est telle que le pays envisage de céder tout ou une partie de ses 21% de parts sur le pipeline Tchad-Cameroun. Récemment, le Cameroun a fait une offre de 150 milliards de FCFA pour la reprise d’une partie de ces parts. La conclusion de ce deal devrait permettre au pays, qui a déjà obtenu la revalorisation puis l’actualisation tous les 5 ans du droit de transit, d’augmenter ses actifs sur cette infrastructure.
En l’état actuel des choses, il faut déjà craindre qu’au cours des prochains jours, les compagnies pétrolières désertent les périmètres de production, et s’attendre à ce que la sécurité autour des bassins d’extraction soit renforcée comme ce fût le cas en Libye. Du côté des rebelles, les actes de vandalisme de pipelines ne sont pas à exclure. L’objectif étant de fragiliser N’Djamena, les finances de l’Etat pourraient très vite en pâtir, car le pétrole c’est 80% des exportations du pays et 20% du PIB.
Olivier de Souza