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Germaine Acogny, une étoile noire au firmament de l’histoire de la danse

  • Date de création: 19 février 2021 16:28

(Agence Ecofin) - A 76 ans, Germaine Acogny est entrée à pas chassés dans la dimension des plus grands danseurs de sa génération, voire de l’histoire. Toute sa vie elle a dansé sur sa propre musique, celle du retour aux sources d’une Africaine partie un moment loin de ses terres.

La Franco-Sénégalaise Germaine Acogny a remporté le Lion d'or de danse 2021 lors de la Biennale de Venise. Celle que le milieu surnomme la mère de la danse contemporaine africaine rejoint le palmarès de cette récompense déjà décernée à des légendes comme Pina Bausch et Carolyn Carlson. « Sa contribution à la formation en danse et en chorégraphie des jeunes d'Afrique occidentale et la large diffusion de son travail dans son pays d'origine et dans le monde ont fait d'elle l'une des voix indépendantes qui ont le plus influé sur l'art de la danse », explique la Biennale de Venise dans un communiqué.

1 Germaine Acogny

A 76 ans, la danse de l’immortelle « divinité des sables » n’a rien perdu de sa splendeur.

La danseuse d’origine béninoise ajoute un trophée de plus à ses distinctions qui viennent récompenser des accomplissements hors du commun. Mais Germaine Acogny, au-delà des réalisations en matière de formation des jeunes, est d’abord une danseuse dont l’art est empreint d’une mystique particulière.

Mais Germaine Acogny, au-delà des réalisations en matière de formation des jeunes, est d’abord une danseuse dont l’art est empreint d’une mystique particulière.

Peut-être, a-t-elle hérité cette extatique de son ascendance béninoise proche du vaudou, religion de sa grand-mère qui en était prêtresse ? La réponse importe peu puisqu’à 76 ans, la danse de l’immortelle « divinité des sables » n’a rien perdu de sa splendeur.

La quête d’identité d’une enfant de la transition

Les personnes se rendant à « l’école des sables » sont formelles. Le but dans cet établissement fondé au Sénégal par Germaine Acogny et son mari n’est pas seulement d’apprendre à danser. « On vient pour y trouver sa voie, son identité. Ici, même si on ne peut pas te dire qui tu es, on peut t’aider à trouver la danse qui te convient ». Les danseurs se rendent dans ce lieu à peu de chose près sacré, tant les mouvements et la danse de Germaine Acogny peuvent se rapprocher de la transe, pour suivre un chemin qui les mène vers eux-mêmes, vers leur identité en tant que personne, en tant qu’être libre. Ils ne doutent pas que l’école réussisse à les guider sur ce chemin qu’a déjà suivi sa fondatrice.

« On vient pour y trouver sa voie, son identité. Ici, même si on ne peut pas te dire qui tu es, on peut t’aider à trouver la danse qui te convient ».

Et effectivement, la danseuse a dû batailler pour renouer avec elle-même à cause d’une histoire fragmentée par une cassure familiale. Il faut savoir que Germaine Acogny est née en 1944 à Porto-Novo, au Bénin. A l’âge de 4 ans, elle déménage à Dakar, au Sénégal. Son père Togoun Servais Acogny, un fonctionnaire des Nations unies, est le fils d’Alophoo, une prêtresse vaudou qui occupera une place importante dans la vie de la danseuse.

2mon elue noire

« Ma danse est un dialogue avec le cosmos. »

Ce géniteur, justement, se retrouve au centre d’un drame familial lorsqu’il décide de se convertir au catholicisme alors qu’il est issu d’une longue lignée d’adeptes du vaudou. Le départ au Sénégal est en fait une scission. Le fils d’Alophoo s'y remarie même. Si la situation a un impact important sur la vie de sa fille, il faut dire que le choix de Togoun Servais Acogny n’est pas vraiment un choix isolé. A cette époque, les Africains vivaient une transition impulsée par l’intelligentsia du continent, qui s’est mise à adopter un mode de vie de plus en plus occidental. Le drame familial de la danseuse rejoint donc, dans une certaine mesure, des bouleversements africains. Le traumatisme causé à l’identité de la jeune Germaine Acogny par cette situation ne sera effacé que des années plus tard. Pendant ce temps, elle poursuit un cursus scolaire classique. Après ses études secondaires, elle part pour Paris étudier l’éducation sportive qu’elle enseignera à son retour au Sénégal. C’est dans cette période qu’elle développe une passion pour la danse. En 1968, à seulement 24 ans, elle crée son premier studio de danse africaine à Dakar. A cette époque, il s’agit essentiellement de se servir de sa passion pour améliorer ses revenus alors qu’elle sort d’un divorce et doit prendre soin de ses deux enfants. La suite passera pourtant à la postérité.

La mère de la danse contemporaine africaine

Au fil des années, Germaine Acogny devient une véritable star de la danse africaine. Elle met au point sa propre technique de danse africaine moderne. Cette dernière est constituée d’un mélange de l'héritage gestuel de sa grand-mère, des danses traditionnelles africaines et des danses occidentales classiques et modernes. « Ma danse est un dialogue avec le cosmos, le corps doit prendre l’énergie de la terre. Nos pieds sont nos racines, la poitrine le Soleil, les fesses la Lune, le pubis les étoiles, la colonne vertébrale le serpent de vie. Le bassin doit être en perpétuel mouvement, car si les étoiles s’arrêtent c’est la catastrophe », explique-t-elle. En 1975, son succès parvient aux oreilles du président sénégalais Léopold Sédar Senghor qui la présente à Maurice Béjart, danseur, chorégraphe et membre de l’Académie française des beaux-arts. L’entente entre les deux danseurs est fabuleuse. « Je suis la fille noire qu'il aurait pu avoir. Il a trouvé en moi la fille qui a continué ce qu'il a commencé », confesse Germaine Acogny après leur rencontre.

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« Je suis la fille noire qu'il aurait pu avoir.» (photo Jeant-bi)

Le chorégraphe français et le président Senghor décident de lui confier, en 1977, la direction du Mudra Afrique, la station sénégalaise de l’école fondée à Bruxelles par Maurice Béjart. Pendant cinq années, cette école sera le phare africain de la danse contemporaine, formant des promotions de 25 étudiants originaires de différents pays du continent. Faute de financement, l’aventure s’arrêtera en 1982. Léopold Sédar Senghor n'est plus à la présidence du Sénégal et son successeur refuse de financer l’école.

Pendant cinq années, cette école sera le phare africain de la danse contemporaine, formant des promotions de 25 étudiants originaires de différents pays du continent. Faute de financement, l’aventure s’arrêtera en 1982.

Après la fermeture de Mudra Afrique, Germaine Acogny s’installe à Bruxelles avec la compagnie de Maurice Béjart et organise des stages internationaux de danse africaine qui remportent un franc succès auprès du public européen. L’expérience s’exportera également en Afrique, dans le village de Fanghoumé en Casamance, au Sénégal. Des chorégraphes en provenance de l’Europe et du monde entier s’y rendent. Germaine Acogny danse, chorégraphie et enseigne dans le monde entier et devient un réel émissaire de la danse et de la culture africaine. En 1985, elle et son mari Helmut Vogt fondent le « Studio-école ballet-théâtre du 3e monde » à Toulouse. 2 ans plus tard, après s’être absentée de la scène pendant plusieurs années, Germaine Acogny fait en 1987 un come-back couronné de succès comme danseuse et chorégraphe en travaillant entre autres avec le chanteur Peter Gabriel pour un clip. Elle crée également « Sahel », son premier solo (création dansée par un seul artiste, Ndlr).

La divinité des sables

En 1995, Germaine Acogny décide de retourner au Sénégal et de construire un Centre international de danses traditionnelles et contemporaines africaines. Achevé en 2004, il prend le nom d’Ecole des sables et est situé dans le village de Toubab Dialaw. Avant même que l’établissement ne soit vraiment achevé, il devient un phare africain de la danse contemporaine et aide de nombreux danseurs notamment africains à trouver leurs voies, notamment en les orientant vers leurs origines. « Un arbre qui n’a pas de racines ne peut pas pousser », explique Germaine Acogny. Pendant ce temps, la reconnaissance planétaire et les récompenses viennent consacrer le travail de celle que ses élèves surnomment « la divinité des sables ».

Pendant ce temps, la reconnaissance planétaire et les récompenses viennent consacrer le travail de celle que ses élèves surnomment « la divinité des sables ».

En 2004, après son second solo « Tchouraï », Germaine Acogny crée la pièce « Fagaala » sur le génocide rwandais. Trois ans plus tard, Germaine Acogny et Kota Yamazaki reçoivent un Bessie Award (récompense annuelle new-yorkaise attribuée à des chorégraphes innovants de danse contemporaine qui se sont produits sur une scène de la ville, Ndlr) pour cette chorégraphie.

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« Un arbre qui n’a pas de racines ne peut pas pousser ».

Suivent ensuite des honneurs tels que les médailles de « chevalier de l’ordre du Mérite », « officier des Arts et des Lettres » et « chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur » de la République française. Germaine Acogny est également « chevalier de l’ordre national du Lion », « officier des Arts et des Lettres » et « commandeur des Arts et Lettres » du Sénégal.

Malgré tout, la récompense la plus importante pour l’artiste réside peut-être dans le fait d’avoir pu faire, sur scène, une catharsis de ses drames personnels. Cela a été notamment possible dans son solo « A un endroit du début », créé en 2015, où la danseuse revient sur l’histoire familiale – celle de sa grand-mère Alophoo, celle de son père – et soigne ses propres blessures. Comme un symbole, l’année de création de ce solo, elle revient sur ses terres au Bénin où elle danse pour la première fois.

L’attribution de ce Lion d’or 2021 vient couronner le parcours de la mère de la danse africaine contemporaine. A 76 ans, Germaine Acogny semble n’avoir rien perdu de l’énergie des premiers jours. Décidée à ne jamais cesser de gambader sur scène, elle présentera son spectacle « A un endroit du début » durant le 15e festival international de danse de la Biennale de Venise, du 23 juillet au 1er août.

Servan Ahougnon

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