(Agence Ecofin) - Dans la guerre pour le leadership mondial que mènent depuis quelques années les États-Unis et la Chine, l’Europe pourrait bien devenir une victime collatérale. Le vieux continent dépend en effet de l’empire du Milieu pour une gamme variée de produits indispensables pour l’avenir, notamment les terres rares. Pour briser la domination chinoise sur ce groupe de 17 métaux, diverses alternatives sont explorées par les 27 et leurs alliés. Et l’Afrique est plutôt bien positionnée pour être la solution. Explications.
En février dernier, le Financial Times rapportait un projet du ministère chinois de l’Industrie et des Technologies de l’Information visant à contrôler la production et les exportations des éléments de terres rares. On apprenait également que l’industrie locale a été consultée par Pékin sur les conséquences qu’une restriction des exportations de terres rares aurait sur les entreprises américaines et européennes.
« Le gouvernement veut savoir si les États-Unis pourraient avoir des difficultés à fabriquer des avions de combat F-35 [dont plusieurs composants nécessitent l’utilisation des terres rares Ndlr], si la Chine imposait une interdiction d’exportation », explique un conseiller du gouvernement qui a requis l’anonymat.
« Le gouvernement veut savoir si les États-Unis pourraient avoir des difficultés à fabriquer des avions de combat F-35, si la Chine imposait une interdiction d’exportation », explique un conseiller du gouvernement qui a requis l’anonymat.
Si depuis lors aucune annonce officielle n’a été faite en ce sens, ces informations ont ravivé le spectre d’une utilisation de ces métaux, dont l’utilité n’est plus à présenter, comme arme dans la guerre commerciale et diplomatique à laquelle se livrent les États-Unis et la Chine. Si l’Europe n’est pas directement concernée, son alliance historique avec l’Oncle Sam, renforcée depuis l’élection de Joe Biden, pourrait amener Pékin à l’inclure comme potentiel adversaire. Or, si la Chine assure environ 80 % de l’approvisionnement mondial en terres rares, cette statistique monte à 98 % quand il s’agit de l’Union européenne. C’est donc logiquement une situation qui donne des sueurs froides aux dirigeants européens qui cherchent par tous les moyens à limiter cette dépendance.
Or, si la Chine assure environ 80 % de l’approvisionnement mondial en terres rares, cette statistique monte à 98 % quand il s’agit de l’Union européenne.
Au plus fort des tensions Pékin-Washington, l’année dernière, sur fond de pandémie de Covid-19 et de volonté de l’ancien président Donald Trump de « rendre sa grandeur » aux États-Unis, l’Union européenne a ainsi dévoilé un nouveau plan d’action destiné à sécuriser son approvisionnement pour certaines matières premières critiques, dont les terres rares.
Thierry Breton : « Nous ne pouvons pas nous permettre de dépendre entièrement d’un seul pays pour les terres rares ».
« Un certain nombre de matières premières sont essentielles pour que l’Europe mène la transition verte et numérique et reste le premier continent industriel du monde. Nous ne pouvons pas nous permettre de dépendre entièrement de pays tiers, voire d’un seul pays pour les terres rares », explique alors Thierry Breton, commissaire chargé du marché intérieur.
Les Etats membres de l’UE se sont donc entendus pour diversifier les sources d’approvisionnement. L’exploration et l’identification des ressources de terres rares du vieux continent, puis la construction de mines sont envisagées, mais le coût environnemental de ces installations, qui a longtemps découragé l’Occident, reste bien présent et il faut y ajouter les normes environnementales plus que strictes de l’UE. Elles viendront alourdir le coût de production, rendant sans doute l’exploitation difficilement rentable. Le recyclage reste aussi une alternative, car en dépit de la bonne intégration de ce système dans les habitudes des Européens, moins de 1 % des produits contenant les terres rares sont effectivement récupérés puis traités. Il existe enfin une option qui consiste à encourager la construction d’usines de raffinage et de séparation de terres rares, quitte à s’approvisionner en minerai ailleurs.
L’Afrique comme alternative
Si l’UE veut miser sur l’installation des usines de traitement de terres rares sur son territoire afin de réduire sa dépendance envers la Chine, plusieurs projets européens pilotés par des compagnies minières actives en Afrique devraient inspirer les 27. Depuis quelques mois, les propriétaires de projets de terres rares sur le continent multiplient en effet les collaborations avec des pays européens pour installer leurs usines de transformation.
Depuis quelques mois, les propriétaires de projets de terres rares sur le continent africain multiplient en effet les collaborations avec des pays européens pour installer leurs usines de transformation.
Pensana Rare Earths a ouvert le bal en annonçant en décembre dernier le choix du Royaume-Uni comme terre d’accueil pour son usine de transformation des terres rares extraites à son projet Longonjo en Angola.
Pensana Rare Earths a ouvert le bal.
Si le pays de Sa Majesté n’est plus membre de l’UE, il fait face aux mêmes besoins que les 27 qui ne devraient avoir aucun mal à se fournir sur le sol britannique. Bénéficiant depuis du soutien des autorités anglaises, la compagnie a obtenu les autorisations nécessaires pour construire les installations à Saltend Chemicals Park, dans la banlieue de Hull.
Première du genre en Europe, la raffinerie nécessitera un capital initial de 125 millions $, que Pensana ne devrait pas avoir de mal à mobiliser, vu le retour sur investissement attendu.
Première du genre en Europe, la raffinerie nécessitera un capital initial de 125 millions $, que Pensana ne devrait pas avoir de mal à mobiliser, vu le retour sur investissement attendu.
Une fois en production, l’usine de Saltend livrera annuellement 12 000 tonnes d’oxydes, dont 4500 tonnes de néodyme et de praséodyme (NdPr), sous la forme de métaux magnétiques utilisés dans le secteur de l’éolien. Cette capacité de production est similaire, apprend-on, à la quantité de métaux magnétiques (4 700 t) livrée l’année dernière par les installations malaisiennes de l’australien Lynas Corporation, plus grand producteur non chinois de terres rares. Notons que Pensana n’aura pas à payer des taxes sur ses importations entrant dans le cadre de ce projet anglais, car le site de Saltend est situé dans la région de Humber, déclarée récemment port franc par Londres.
Mkango Resources a plutôt choisi l’un des pays de l’UE, en l’occurrence la Pologne.
Il faut noter qu’au cas où Pensana accuse du retard dans ses plans, d’autres sociétés actives en Afrique pourraient bien s’installer avant elle sur le vieux continent. Il s’agit de Peak Resources et de Mkango Resources. Comme Pensana, la première citée compte mettre à profit les conditions fiscales optimales offertes par le Royaume-Uni pour sa future raffinerie de Teesside. Propriétaire en Tanzanie du projet de terres rares Ngualla, elle a finalisé il y a quelques semaines un contrat de bail longue durée (250 ans) pour un terrain de 19 hectares au sein du site international de Wilton dans la périphérie de Middlesbrough.
Contrairement aux deux déjà citées, la société Mkango Resources a plutôt choisi l’un des pays de l’UE, en l’occurrence la Pologne, pour mener à bien ses projets de transformation des terres rares de Songwe Hill au Malawi. La compagnie a créé une filiale locale chargée de piloter la conception et la mise en service d’une usine de séparation des terres rares pour approvisionner le marché européen.
Contrairement aux deux déjà citées, la société Mkango Resources a plutôt choisi l’un des pays de l’UE, en l’occurrence la Pologne, pour mener à bien ses projets de transformation des terres rares de Songwe Hill au Malawi.
« La création d’un nouveau hub européen pour les terres rares au cœur de l’Europe centrale vient compléter les développements en matière de batteries, de véhicules électriques et d’énergies renouvelables dans la région, avec un site stratégiquement situé pour les routes commerciales et le transport », explique Jarosław Pączek, directeur de la nouvelle filiale polonaise de Mkango.
S’inspirer de l’exemple japonais
Il y a 10 ans, le Japon a vécu le scénario cauchemar que redoutent actuellement États-Unis et Europe. En raison de la mise aux arrêts du capitaine d’un chalutier chinois par Tokyo en septembre 2010, Pékin a imposé un embargo brusque sur les exportations de terres rares à destination de l’archipel nippon. Si l’évènement a entrainé une hausse brutale, mais courte des prix sur le marché mondial, il a surtout forcé le Japon à prendre conscience de sa dépendance vis-à-vis de son voisin. Les autorités ont alors mis en place une stratégie de diversification des sources d’approvisionnement, en prenant surtout appui sur les compagnies minières.
En dehors des accords de prélèvement classiques, Tokyo a en effet conclu des partenariats pour posséder des intérêts dans les mines de terres rares. L’un des derniers du genre en date a été justement signé pour un projet africain. La Japan Oil, Gaz and Metals National Corporation (Jogmec), fer-de-lance de la stratégie de Tokyo, a conclu en janvier 2020 un accord de partenariat avec la compagnie minière Namibia Critical Metals, pour le développement du projet de terres rares Lofdal, en Namibie. D’après les termes négociés, le pays du soleil levant devrait obtenir 50 % de parts dans le projet si elle y investit 20 millions de dollars canadiens.
La Japan Oil, Gaz and Metals National Corporation a conclu en janvier 2020 un accord de partenariat avec la compagnie minière Namibia Critical Metals, pour le développement du projet de terres rares Lofdal, en Namibie.
Il faut souligner que la stratégie japonaise a largement porté ses fruits, car le pays a fait passer la part chinoise dans son approvisionnement en terres rares de plus de 90 % en 2010, à environ 58 % à la fin de la décennie. Tokyo veut désormais atteindre moins de 50 % d’importations chinoises de terres rares d’ici 2025.
Tokyo veut atteindre moins de 50 % d’importations chinoises de terres rares d’ici 2025.
L’Europe, qui a lancé en septembre dernier European Raw Materials Alliance, peut utiliser cette organisation censée coordonner la stratégie des 27, pour nouer des partenariats avec les futurs producteurs africains. Car, plus que la transformation en aval, la sécurisation de la production en amont sera la clé pour espérer limiter la domination chinoise.
Emiliano Tossou
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