Agence Ecofin TikTok Agence Ecofin Youtube Agence WhatsApp
Agence Ecofin
Yaoundé - Cotonou - Lomé - Dakar - Abidjan - Libreville - Genève

×

Message

Failed loading XML...

La philanthropie, la nouvelle esquive des milliardaires

  • Date de création: 16 avril 2021 14:20

(Agence Ecofin) - Bill Gates, Tony Elumelu, George Soros, Mo Ibrahim… Ces dernières années, de nombreux milliardaires se sont taillé une réputation de philanthropes, à travers leurs nombreuses fondations. Ces œuvres caritatives qui ciblent divers domaines sont souvent présentées comme des actions dénuées de tout intérêt financier, ayant des objectifs purement humanistes. Pourtant les inégalités entre riches et pauvres ne cessent de s’accroître et d’être dénoncées, et le véritable objectif de cette nouvelle religion des milliardaires interroge, tout comme leur impact réel sur la société…

Une charité valant plusieurs milliards de dollars

En 2010, les milliardaires américains Bill Gates et Warren Buffett ont annoncé la création d’une association caritative destinée à encourager les personnes les plus riches des Etats-Unis à s’engager plus activement dans la philanthropie. Avec la promesse de consacrer au moins 50% de leurs fortunes à des actions philanthropiques, plus d’une centaine de milliardaires ont rejoint l’initiative « Giving Pledge » qui compte de grands noms tels que le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, et l’ancien maire de New York, Michael Bloomberg.

1 WARRENWarren Buffett, initiateur de «Giving Pledge» avec Bill Gates.

A travers leurs fondations, ces personnalités ont financé au cours de ces dernières années, de nombreux projets dans les pays les plus vulnérables de la planète. Depuis la création de leur fondation en 2000, Bill et Melinda Gates ont par exemple investi plus de 50 milliards $ dans la santé, la réduction de l’extrême pauvreté à travers le monde. La Bill & Melinda Gates Foundation est active sur plusieurs thématiques importantes telles que la lutte contre le sida, la tuberculose, le paludisme, la poliomyélite dans les pays d’Asie et d’Afrique en particulier.

La Bill & Melinda Gates Foundation est active sur plusieurs thématiques importantes telles que la lutte contre le sida, la tuberculose, le paludisme, la poliomyélite dans les pays d’Asie et d’Afrique en particulier.

Grâce à un réseau de fondations créé dans les années 90, le milliardaire George Soros a de son côté consacré des milliards de dollars à la promotion de la démocratie dans les 120 pays du monde dans lesquels son organisation, l'Open Society Foundation (OSF) est présente. D’après l’institution, le philanthrope « a fait don de plus de 32 milliards de dollars de sa fortune personnelle » pour financer les actions de l’OSF dans le monde.

2 GeorgesGeorge Soros dispose d’un large réseau de fondations, créé dans les années 90

En Afrique, on remarque aussi la naissance de fondations caritatives, financées par des milliardaires originaires du continent et qui agissent dans plusieurs domaines tels que la santé, la finance, l’éducation et la gouvernance. A cet effet, deux d’entre elles, à savoir : la Fondation Mo Ibrahim et la Fondation Tony Elumelu se sont particulièrement fait remarquer ces dernières années. Depuis 2007, la première, fondée par le milliardaire soudanais, décerne un prix qui récompense chaque année, de 5 millions de dollars, un dirigeant africain s’étant distingué par son leadership à la tête de son pays. La seconde fondée par le milliardaire nigérian du même nom accorde quant à elle, depuis 2010, des financements à des milliers de petits entrepreneurs présents dans les 54 pays africains, et qui souhaitent développer leur business.

Un fossé entre riches et pauvres de plus en plus important

Ainsi chaque année, ce sont effectivement plusieurs milliards de dollars qui sont investis par les plus grosses fortunes mondiales, pour officiellement réduire les vulnérabilités et faciliter l’épanouissement des plus pauvres. Logiquement, on pourrait donc s’attendre à des résultats impressionnants en matière de lutte contre la pauvreté et de réduction des inégalités dans le monde, surtout avec des projets comme le « Giving Pledge », où de nombreux milliardaires se sont engagés à consacrer la moitié de leurs fortunes aux œuvres caritatives. Pourtant, il n’en est rien. Et cette explosion des investissements philanthropiques a même coïncidé avec un creusement des inégalités économiques, financières et sociales dans le monde. 

Il est également à noter qu’aucun de ces bienfaiteurs ne met ses gigantesques moyens à disposition pour lutter en faveur d’une meilleure répartition des richesses, contre les flux financiers illicites ou les paradis fiscaux.

Pourtant, il n’en est rien. Et cette explosion des investissements philanthropiques a même coïncidé avec un creusement des inégalités économiques, financières et sociales dans le monde.  

D’après l’organisation Oxfam, « l’écart entre les riches et les pauvres se creuse chaque année et entraîne d’énormes disparités en termes de perspectives de vie ». Depuis 2015, on estime que 1 % de la population mondiale détient plus de richesses que le reste de l’humanité. Selon Oxfam, près de la moitié de la population mondiale vit avec moins de 5,5 $ par jour, alors que 100 millions de personnes sombrent dans la pauvreté chaque année, parce qu’elles doivent payer des soins de santé.

« Le nombre de milliardaires n’a jamais été aussi élevé, et leur richesse atteint aujourd’hui un niveau record. En parallèle, les personnes démunies le sont de plus en plus […] Le sommet de la pyramide économique concentre des milliers de milliards de dollars entre les mains d’une élite très minoritaire composée principalement d’hommes, dont la fortune et le pouvoir croissent de façon exponentielle. Les milliardaires du monde se partagent plus de richesses que 4,6 milliards de personnes qui comptent pour 60 % de la population de la planète. En parallèle, environ 735 millions de personnes vivent encore dans l’extrême pauvreté. Pour beaucoup d’autres, il suffit d’une facture d’hôpital ou d’une mauvaise récolte pour y basculer », indique l’ONG.

Cette situation a d’ailleurs été accentuée par la pandémie de covid-19 qui a vu la fortune des 2189 milliardaires que compte le monde, progresser entre avril et juillet 2020 pour atteindre le montant record de 10 200 milliards $, alors que des millions de gens s’enlisent dans la pauvreté.

Mais alors, comment comprendre que malgré leurs dons « colossaux » en faveur des plus vulnérables, les plus riches continuent de voir leurs fortunes s’accroître tandis que les plus pauvres s’enfoncent dans la misère ? A qui profite le plus ce système philanthropique ?

Franchise d’impôt et liberté de « choisir son combat »

Les plus sceptiques voient dans l’actuel système philanthropique utilisé par les plus riches, une manière de continuer à s’accaparer les richesses mondiales, tout en cultivant une image de bienfaiteur. Cette opinion est d’ailleurs renforcée par les avantages dont bénéficient ces fondations et ces milliardaires en contrepartie de leurs dons.

3 bonoLe chanteur Bono a lui-même pratiqué l’optimisation fiscale.

En effet, sous le prétexte que leurs actions ne sont pas à but lucratif et qu’elles servent d’abord des objectifs humanitaires, ces fondations appartenant à des milliardaires bénéficient d’importants allègements fiscaux. D’une certaine manière, la philanthropie semble donc être devenue un outil majeur d’optimisation fiscale, alors même que les pays manquent souvent de financement pour mettre en œuvre des politiques sociales en faveur des plus pauvres.

S’exprimant sur la question au micro de RFI, Vincent Edin, journaliste et écrivain affirme : « il faut regarder les ordres de grandeur […] et ne pas se laisser éberluer par les sommes des dons qui représentent peu de choses par rapport aux abattements fiscaux dont bénéficient les hyper-riches. Il faut savoir que les 400 premières fortunes américaines payent moins d’impôts en moyenne que les classes moyennes basses […]. La réalité c’est qu’elles donnent très peu, et même les sommes qu’on entend ne sont rien par rapport à ce qu’elles gagnent. Jeff Bezos qui a décidé de se lancer dans le climat a donné l’an dernier, 200 millions d’euros à Feed America, l’équivalent des Restos du cœur, mais ce n’est rien comparé aux 30 milliards qu’il a gagnés pendant la crise de la covid-19. Et il gagne cet argent sur le dos du dumping fiscal ».

« Jeff Bezos a donné l’an dernier, 200 millions d’euros à Feed America, l’équivalent des Restos du cœur, mais ce n’est rien comparé aux 30 milliards qu’il a gagnés pendant la crise de la covid-19.»

D’ailleurs, dans certains cas, les mesures d’incitation fiscales peuvent être perçues comme un moteur de l’action philanthropique, les plus riches préférant donner « ce qu’ils veulent » en bénéficiant de ristournes fiscales, plutôt que payer des montants imposés, pour contribuer à la lutte contre les inégalités. De plus, certaines personnalités du monde caritatif ont déjà été épinglées pour des montages juridiques leur permettant d’échapper en grande partie à l’impôt, comme le chanteur irlandais Bono, et des enquêtes, comme celle de la revue Science, ont révélé comment des fondations philanthropiques pesant déjà plusieurs milliards de dollars font elles-mêmes fructifier leurs avoirs dans des paradis fiscaux.

4 tonyLa Fondation Tony Elumelu sponsorise de jeunes entrepreneurs en Afrique.

Mais au-delà de l’aspect fiscal, c’est aussi l’aspect décisionnel de ces investissements philanthropiques qui suscitent la controverse. En effet, les fondations philanthropiques ne rendent compte à aucun organisme public des projets qu’ils décident de financer. D’une certaine manière, ces structures privées fondées par des milliardaires sont libres de choisir leur combat, et on peut imaginer que les causes qui desservent leurs intérêts ne sont pas forcément les plus urgentes.

D’une certaine manière, ces structures privées fondées par des milliardaires sont libres de choisir leur combat, et on peut imaginer que les causes qui desservent leurs intérêts ne sont pas forcément les plus urgentes.

« La philanthropie, ce sont des gens qui dépensent leur argent comme ils en ont envie. Si un philanthrope a envie de construire une école de danse classique en Afrique, alors il le fait et c’est très bien », indiquait Hadeel Ibrahim, directrice de la Fondation Mo Ibrahim. Et d’ajouter : « La philanthropie est une démarche personnelle, il n’y a pas de comptes à rendre à qui que ce soit ».

Pour certains observateurs, cette « liberté d’investir » pousse la plupart des fondations philanthropiques à choisir des secteurs où leurs investissements leur permettent d’avoir des résultats rapides et spectaculaires, plutôt des domaines où les problèmes sont plus profonds, et nécessitent des investissements à long terme. « Aider des enfants, c’est toujours plus spectaculaire que de ramasser des déchets toxiques », soulignait à cet effet le Canadien Alain Deneault, auteur de plusieurs ouvrages sur les paradis fiscaux.

D’après le journal britannique The Guardian, aux Etats-Unis, un des pays les plus inégalitaires au monde, seuls 12 % des fonds philanthropiques en 2017 sont allés aux services sociaux, la plupart des financements étant plutôt destinés aux arts et à l'enseignement supérieur.

Un effet de mode ?

Malgré toutes ses tares, la philanthropie des milliardaires n’est pas totalement inutile. Difficile de faire fi des milliers d’enfants vaccinés grâce à la Fondation Bill & Melinda Gates ou même de nier les millions de dollars investis par Mark Zuckerberg pour doper l’innovation sur le continent noir. L’aide apportée par les philanthropes touche des millions de personnes à travers le monde, dans des domaines très variés, et contester ce fait serait faire preuve de mauvaise foi.

Difficile de faire fi des milliers d’enfants vaccinés grâce à la Fondation Bill & Melinda Gates ou même de nier les millions de dollars investis par Mark Zuckerberg pour doper l’innovation sur le continent noir.

Cependant, il faut aussi admettre que la structure actuelle de ce système philanthropique n’est pas de nature à réduire les inégalités. Cette situation alimente les critiques, et d’ailleurs, certains observateurs n’hésitent pas à comparer la philanthropie à un nouvel effet de mode où chaque milliardaire rivalise de stratégies pour se construire la meilleure réputation possible au détriment des véritables problèmes de fond qui minent la société et perpétuent la misère.

Pourtant, face à cette situation, la solution semble toute trouvée : réduire les inégalités, et lutter contre la pauvreté passeront forcément par une plus grande contribution des élites fortunées, non à travers la charité, mais surtout grâce à un système fiscal plus juste.

Moutiou Adjibi Nourou

Moutiou Adjibi



Enveloppe
Recevez votre lettre Ecofin personnalisée selon vos centres d’intérêt

sélectionner les jours et heures de réception de vos infolettres.