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Evariste Ndayishimiye : être ou ne pas être Pierre Nkurunziza

  • Date de création: 12 février 2021 16:48

(Agence Ecofin) - Avant les élections, Evariste Ndayishimiye avait prévenu : il souhaitait suivre les traces de son prédécesseur et ami Pierre Nkurunziza. Pas forcément de quoi rassurer le peuple ou la communauté internationale qui appelaient à un changement de modèle de gestion à la tête du Burundi. Dans ce climat de méfiance, le nouveau président a pourtant surpris son monde en tendant la main à la presse, malmenée par son prédécesseur. Pour l'instant, à souffler le chaud et le froid, Evariste Ndayishimiye maintient le suspense en attendant ses premières grandes décisions.

En janvier 2020, lorsqu’il avait été choisi pour représenter le parti du président sortant à l’élection présidentielle, Evariste Ndayishimiye avait juré que son mandat suivrait les traces de Pierre Nkurunziza, qu’il avait appelé son « Moïse » (ou guide, en référence au prophète biblique). Lors de la proclamation de sa victoire le 20 mai suivant, le nouveau président n’avait pas hésité à rappeler son désir de « continuer sur la voie » tracée par son prédécesseur.

1 Evariste Ndayishimiye et PN2

Evariste Ndayishimiye a promis de suivre les traces de Pierre Nkurunziza.

Cette déclaration avait réussi à convaincre de nombreux exilés de ne pas revenir au Burundi. Dans le même temps, le nouveau chef d’Etat les a invités à rentrer chez eux et s’est dit ouvert au dialogue. Vu comme une lueur d’espoir, parce que jugé plus modéré, il semble jouer avec les attentes de tout le monde. Annoncé moins reclus que son prédécesseur, il a malgré tout refusé que son pays participe au sommet de Goma sur la situation des Grands Lacs. Il a par contre tendu la main à la presse. Il avait pourtant laissé entendre dans un discours que les journalistes n’étaient pas « des intouchables ». Jusque-là, personne ne peut affirmer ou infirmer avec certitude que le nouveau président s’écarte des sentiers battus par Pierre Nkurunziza.

Le cacique le plus modéré 

Pour quelqu’un qui ne suit pas particulièrement la vie politique burundaise, les espoirs suscités par Evariste Ndayishimiye seraient insensés au point de passer pour de l’hérésie. Même si, comme plusieurs personnalités du pays et plusieurs analystes l’ont fait remarquer, le nouveau président n’a jamais été lié, de près ou de loin, à aucun des scandales du régime précédent, la proximité avec l’ancien chef d’Etat est troublante. Déjà, il faut savoir que l’histoire du Burundi a très tôt rapproché les deux hommes.

2geÌneÌral Evariste Ndayishimiye

« Laissons-lui le bénéfice du doute.» (IFRI)

Evariste Ndayishimiye est né dans la commune de Giheta dans la province de Gitega en 1968. Inscrit à la Faculté de droit de l'université du Burundi en 1993, l'année du début de la guerre civile, il est en 2e année de son cursus lorsqu’il échappe par miracle au massacre de dizaines d’étudiants hutus par des extrémistes tutsis sur son campus.

Inscrit à la Faculté de droit de l'université du Burundi en 1993, l'année du début de la guerre civile, il est en 2e année de son cursus lorsqu’il échappe par miracle au massacre de dizaines d’étudiants hutus par des extrémistes tutsis sur son campus.

Comme Pierre Nkurunziza, qui a vécu des évènements similaires, il rejoint les rangs de la rébellion et de son mouvement armé : les Forces de défense de la démocratie (FDD), créées après l'assassinat du président hutu Melchior Ndadaye.

Pendant 10 ans, dans la forêt de la Kibira et dans l'est de la RDC, Evariste Ndayishimiye gravit tous les échelons militaires des FDD. Au début des années 2000, il est président du bureau chargé de la conception et de la planification de la politique de la lutte. En 2003, il est le principal négociateur du mouvement rebelle lors de la signature, en 2003, de l'accord de cessez-le-feu de la guerre civile. Il occupe ensuite plusieurs postes dans le premier cercle du pouvoir burundais. Suite à l'accord de paix de 2003, les rebelles du FDD obtiennent le partage du pouvoir avec le gouvernement. Evariste Ndayishimiye remplace alors le chef de l'armée du Burundi de l'époque.

Suite à l'accord de paix de 2003, les rebelles du FDD obtiennent le partage du pouvoir avec le gouvernement. Evariste Ndayishimiye remplace alors le chef de l'armée du Burundi de l'époque.

En 2005, il est aux premières loges lors de l’élection de son compagnon de maquis Pierre Nkurunziza. L’année suivante, Evariste Ndayishimiye est nommé ministre de l'Intérieur avant de devenir conseiller militaire du président, puis secrétaire général, autrement dit n°2, du CNDD-FDD, le parti au pouvoir. Il fait depuis ce moment partie des piliers du système du parti au pouvoir. Ainsi, même si son nom n’est jamais cité lorsque les affaires de sang du régime précédent sont évoquées, on a du mal à l’imaginer totalement déconnecté des exactions commises.

L’homme qui tombe à pic

En 2015, le Burundi bascule dans une crise après que le président Pierre Nkurunziza décide de briguer un 3e mandat en violation de la constitution. Finalement, la Cour Constitutionnelle valide sa candidature. Après avoir remporté les élections, il échappe à un putsch qu’il réprimera dans les larmes et le sang de centaines de Burundais.

Cinq années plus tard, lorsqu’il décide de laisser le pouvoir à quelqu’un d'autre, le choix d’Evariste Ndayishimiye comme candidat du parti présidentiel finit par s’imposer. Pierre Nkurunziza souhaite laisser le pouvoir à un civil, mais il est approché par les généraux de l’ancienne rébellion qui le convainquent que le candidat devrait provenir de leur mouvement. Le choix se porte alors naturellement sur le compagnon d’armes des années 90 Evariste Ndayishimiye, très proche du président sortant.

Pierre Nkurunziza souhaite laisser le pouvoir à un civil, mais il est approché par les généraux de l’ancienne rébellion qui le convainquent que le candidat devrait provenir de leur mouvement.

Il sera élu, malgré des accusations de fraudes de l’opposition. Sa prise de pouvoir, prévue pour août 2020, sera même précipitée de 2 mois par le décès de Pierre Nkurunziza le 8 juin. Jugé plus modéré, plus accessible et surtout moins belliqueux, le nouveau président suscite rapidement une lueur d’espoir. Mais, le scepticisme reste de mise chez de nombreux observateurs.

3 hommage

Personne n’arrive à décrypter les signaux contradictoires envoyés par le nouvel homme fort.

« Evariste Ndayishimiye est une émanation de l’ancien régime, de l’actuel parti CNDD-FDD. Il a toujours soutenu la politique de répression de son prédécesseur Pierre Nkurunziza. Cette politique a été instaurée à l’époque, mais elle est toujours en vigueur », explique Thierry Vircoulon, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI) au micro de la Deutsche Welle. A l’instar de certains, il ne s’attend pas à de grandes différences entre le nouveau président et l’ancien, tous deux moulés dans le même système au sein du parti au pouvoir.

D’autres observateurs se montrent plus patients. C’est le cas de Jean-Jacques Wondo Omanyundu, chercheur au sein du Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (GRIP). « Laissons-lui le bénéfice du doute et un peu de temps pour voir s’il peut vraiment faire avancer le dossier des droits de l’homme. En attendant, il faut rester sceptique en tant qu’observateurs internationaux. Il faut voir quelles seront ses prises de position concrètes, notamment vis-à-vis des partis d’opposition ».

« En attendant, il faut rester sceptique en tant qu’observateurs internationaux. Il faut voir quelles seront ses prises de position concrètes, notamment vis-à-vis des partis d’opposition ».

Effectivement, les premiers jours du nouveau président à la tête du Burundi ne sont pas exactement un remake de ceux de son prédécesseur. Evariste Ndayishimiye tend la main à la presse pour pacifier les relations avec l’exécutif. Le nouveau président appelle également les exilés à revenir dans leur pays, non sans oublier de les traiter de « sans-cœur » pour être partis avec la crise de 2015, craignant pour leurs vies. Finalement, personne n’arrive à décrypter les signaux contradictoires envoyés par le nouvel homme fort. Sans oublier que le pays reste dans une situation économique compliquée.

La Covid-19 est venue aggraver la situation d’un pays où la dépréciation du franc burundais a fait des ravages. Pour ne rien arranger, le pays est privé de produits importés à cause de sanctions des bailleurs de fonds, opposés à la dérive autocratique du précédent chef d’Etat. C’est peut-être cela qui obligera son successeur à montrer patte blanche à la communauté internationale, pour se refaire économiquement. Mais encore faut-il savoir si cette évolution sera tolérée par généraux de la rébellion, à qui le nouveau président doit quand même d’avoir été choisi pour succéder à son ami.

Servan Ahougnon

servan ahougnon



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