Alliance Côte d’Ivoire - Ghana pour un revenu décent sur le cacao : le point de vue des experts sur les chances de réussite

(Ecofin Hebdo) - En octobre dernier, la Côte d’Ivoire et le Ghana annonçaient l’instauration d’une prime spéciale sur le prix du cacao de 400 dollars sur la tonne de cacao vendue. Ce mécanisme, dit de différentiel de revenu décent (DRD) doit prendre effet avec la prochaine récolte 2020/2021.

Cette démarche est la dernière tentative en date des deux pays pour s’arroger une meilleure part de la valeur totale créée le long de la chaîne de valeur mondiale du cacao. Cette mesure avait pour but d’améliorer les revenus des producteurs afin de leur permettre de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles.

Cette décision a été perçue par certains comme un tournant historique dans l’alliance formée par la Côte d’Ivoire et le Ghana, depuis 2017, sur fond de crise des cours pour peser sur le marché. Si la volonté des deux pays d’améliorer la situation des planteurs ne date pas d’hier, la coordination n’était pas au rendez-vous, faute d’une vision commune claire de cette nécessité.

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« Un marché abondant tirera les prix vers le bas.»

 

La concertation n’était pas non plus évidente, étant donné la rivalité qu’entretenaient parfois les deux pays et aussi les différences entre les systèmes de commercialisation (complètement libéralisé en Côte d’Ivoire et partiellement ouvert aux acteurs privés au Ghana).

Cette décision a été perçue par certains comme un tournant historique dans l’alliance formée par la Côte d’Ivoire et le Ghana, depuis 2017, sur fond de crise des cours pour peser sur le marché.

D’autres voient dans la mesure une occasion de peser sur un marché libéralisé où le rapport de force penche largement en faveur des acteurs de la transformation qui sont concentrés, contrairement à des millions de producteurs épars subissant les prix du marché.

Si, globalement, le DRD ouvre de nombreuses possibilités pour les producteurs, il soulève également de nombreuses questions.

 

L’engagement des chocolatiers et négociants

Le premier défi est la manière dont les deux pays réussiront à entraîner les acteurs dans leur démarche.

Selon les dernières données de Reuters, la Côte d’Ivoire a vendu au 3 janvier dernier, 720 000 tonnes de cacao de la récolte 2020/2021 avec le DRD, soit un peu moins de la moitié des prévisions. De son côté, le Ghana a écoulé 280 000 tonnes au 7 janvier, un volume qui représente plus du tiers du stock visé (650 000 tonnes).

Si au vu de ces statistiques, rien n’est gagné d’avance, il reste également que la perspective d’un boycott reste improbable. D’abord, parce que la Côte d’Ivoire et le Ghana pèsent pour plus de 60 % de la production mondiale. Il serait donc difficile pour les transformateurs de se passer complètement de ses deux origines, même s’ils peuvent ralentir leurs volumes importés. En second lieu, les grandes entreprises du secteur ont affiché, ces dernières années, un discours volontariste sur l’amélioration des revenus des producteurs avec leurs programmes de certification. Dans ce contexte, il est difficile pour une compagnie de se dresser officiellement et de manière frontale contre ce mécanisme. Une telle démarche écornerait son image auprès des consommateurs occidentaux de plus en plus sensibles aux conditions de production de la fève.

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« Je ne pense pas que les confiseurs et les négociants soient opposés au principe de payer plus aux producteurs pour leurs fèves.»

 

« Les négociants et les transformateurs reconnaissent le besoin d’agir contre la pauvreté des producteurs. Beaucoup, à travers la Fondation mondiale du cacao (WCF), investissent dans les projets en amont pour améliorer les conditions de vie des producteurs même si les résultats restent mitigés. Ils pourraient apparaître cyniques, s’ils ne soutiennent pas cette initiative », confie à l’Agence Ecofin, Shashi Kolavalli, agroéconomiste et spécialiste de la gestion du cacao au Ghana.

« Les négociants et les transformateurs reconnaissent le besoin d’agir contre la pauvreté des producteurs (…). Ils pourraient apparaître cyniques, s’ils ne soutiennent pas cette initiative.»

Un avis partagé par Edward George, consultant indépendant et fondateur de la firme Kleos Advisory, spécialisée notamment sur les marchés des matières premières agricoles en Afrique.

« Je ne pense pas que les confiseurs et les négociants soient opposés au principe de payer plus aux producteurs pour leurs fèves. C’est juste que le DRD fait partie d’un ensemble de coûts qui doivent être soigneusement équilibrés afin de permettre aux négociants de rendre leurs activités rentables ». Et de renchérir : « Les marges commerciales sont faibles. La forte compétition et la grande disponibilité des informations sur le marché rendent les choses un peu plus corsées. Le DRD rend juste les choses un peu plus difficiles même si cela sera répercuté ultérieurement sur le prix facturé aux clients ».

 

Le casse-tête du contrôle de la production

En dehors de l’engagement des industriels, l’autre grosse interrogation porte sur la limitation de la production pour créer une situation de rareté, une condition sine qua non pour maintenir la pression sur les négociants.

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« Le DRD sera efficace si l’entièreté des 400 dollars par tonne atteint les producteurs. »

 

« Des prix élevés signifient des risques élevés de surproduction. Un marché abondant tirera les prix vers le bas. Renforcer le contrôle sera un gros défi », estime Casper Burgering, responsable des métaux industriels et des matières premières agricoles chez la banque néerlandaise ABN Amro.

« Des prix élevés signifient des risques élevés de surproduction. Un marché abondant tirera les prix vers le bas. Renforcer le contrôle sera un gros défi.»

Si, en juillet dernier, le Conseil du Café-Cacao (CCC) a annoncé une stabilisation de la récolte à 2 millions de tonnes par an, en Côte d’Ivoire, les objectifs de réduction de la récolte n’ont pas encore été divulgués.

Globalement, toute manœuvre de réduction de la récolte pourrait être un véritable casse-tête. Cela suppose pour la Côte d’Ivoire et le Ghana de contrôler la production de centaines de milliers de petits exploitants d’une façon équitable et efficace.

Globalement, toute manœuvre de réduction de la récolte pourrait être un véritable casse-tête. Cela suppose pour la Côte d’Ivoire et le Ghana de contrôler la production de centaines de milliers de petits exploitants d’une façon équitable et efficace.

Si nombre de pays développés ont pu appliquer des quotas individuels par agriculteur et des réductions de surfaces dans ce but, cette option reste peu plausible dans la mesure où les moyens financiers restent limités dans les deux pays africains. En outre, l’option d’une réduction volontariste des producteurs reste hypothétique, sans une aide financière dans la diversification des activités ou la recherche d’une alternative plus rentable que le cacao.

Toujours au chapitre du contrôle de la production, le Ghana et la Côte d’Ivoire devront gérer l’effet d’entraînement éventuel que pourrait provoquer le DRD dans d’autres pays fournisseurs. En effet, dans le cas d’un succès du DRD, d’autres nations pourraient également emboîter le pas en exigeant une meilleure rémunération pour leurs planteurs et in fine accroître leurs niveaux de production.

« La surabondance de l’offre est née de l’expansion massive de la production ivoirienne depuis la fin de la guerre civile. Le DRD ne fait rien pour résoudre le problème et pourrait même l’aggraver.»

« Si cela arrive, cela aurait pour impact de faire s’écrouler le système du DRD. Personne ne pourrait en tirer profit. Jusqu’à ce que le problème de la surproduction soit résolu, rien ne changera. La surabondance de l’offre est née de l’expansion massive de la production ivoirienne depuis la fin de la guerre civile. Le DRD ne fait rien pour résoudre le problème et pourrait même l’aggraver. C’est une sorte de solution magique », indique Christopher Gilbert, professeur associé d’économie à l'Université Johns Hopkins SAIS Europe à Bologne, en Italie.

 

La redistribution efficace des fonds vers les producteurs

Un autre défi sera de s’assurer que tous les producteurs entrent effectivement en possession de l’argent qui sera collecté auprès des autres acteurs de la chaîne de valeur mondiale.

« Le DRD sera seulement efficace si l’entièreté des 400 dollars par tonne atteint les producteurs et ne diminue pas à mesure qu’il descend dans la chaîne de valeur. La transparence dans la redistribution du DRD aux producteurs et l’utilisation des canaux numériques comme les téléphones mobiles pour réaliser les paiements et les suivre sont autant d’aspects nécessaires, si le DRD veut améliorer les revenus des producteurs », indique M. George.

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« L’option d’une réduction volontariste des producteurs reste hypothétique.»

 

La question est également de savoir si la prime qui sera collectée auprès des négociants et chocolatiers sera frappée par les redevances fiscales ou en sera exemptée.

« Ce niveau se traduit par une taxation d’environ 40% du chiffre d’affaires du planteur, et probablement de plus de 50% sur ses bénéfices, ce qui fait de l’entreprise cacao, l’activité la plus taxée en Côte d’Ivoire ».

Cette dernière dimension est particulièrement importante en Côte d’Ivoire où, selon la Banque mondiale, les exportations de cacao sont lourdement taxées (22 %), ce qui se transmet intégralement au niveau bord-champ. Selon l’institution financière, « ce niveau se traduit par une taxation d’environ 40% du chiffre d’affaires du planteur, et probablement de plus de 50% sur ses bénéfices, ce qui fait de l’entreprise cacao, l‘activité la plus taxée en Côte d’Ivoire ».

 

La nécessité d’accompagnement du DRD

La plupart des analystes s’accordent à dire que le DRD, s’il représente un premier pas, n’est pas suffisant pour lutter efficacement contre la pauvreté. Ce n’est qu’une mesure parmi tant d’autres pouvant être mises en œuvre au profit des exploitants.

« Rendre les producteurs plus visibles dans la chaîne de valeur à travers la traçabilité du cacao et le suivi GPS seront également importants dans la mesure où cela permettra aux producteurs d’avoir un accès direct au financement, à l’assurance et d’autres produits financiers. Cela fera plus pour réduire la pauvreté que la contribution annuelle issue du DRD », souligne M. George.

D’après l’expert, il faudra également veiller au contrôle afin d’éviter que les schémas de certification durable ne pâtissent d’un succès éventuel du DRD.

« Un prix élevé pourrait encourager plus de production dans les zones forestières protégées et pourrait ne pas inciter les producteurs à travailler à la certification de leurs fèves. S’ils ont des prix élevés indépendamment de la manière dont ils produisent leur cacao, pourquoi se donneraient-ils la peine de produire du cacao certifié ? »

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« Pourquoi se donneraient-ils la peine de produire du cacao certifié ? »

 

Au-delà de ces différents défis, des questions se posent sur la durabilité de cette mesure dans la perspective des élections qui se dérouleront en Côte d’Ivoire et au Ghana, cette année.

S’il est vrai que des incertitudes règnent, notamment en Côte d’Ivoire, une annulation pure et simple du DRD, par de futurs gouvernements, après les élections reste improbable même si, sa mise en œuvre ainsi que la gestion des fonds peuvent changer en fonction du gouvernement.
« Le scénario d’une annulation du DRD après les élections est possible, mais je pense que cela manque de vision. Je ne pense pas que le DRD sera supprimé une fois qu’il sera introduit par les deux pays », indique Jack Scoville, analyste chez Price Group.

« D’après ma compréhension de la situation du Ghana, les élections n’auront pas d’impact sur la position des deux pays sur le cacao. Les deux parties se sont engagées à développer le secteur. Si la prochaine administration ghanéenne retire la mesure, cela pourrait être perçu comme un abandon des producteurs et aucun parti politique ne pourrait se permettre de prendre un tel risque », indique pour sa part, M. Kolavalli.

Espoir OLODO

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