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Tax Justice : « Les Etats-Unis ont atteint le niveau le plus élevé d’opacité financière jamais relevé, depuis qu’existe l’indice »

  • Date de création: 23 mai 2022 12:04

(Agence Ecofin) - Tax Justice Network vient de publier son indice d’opacité financière 2022. Idriss Linge, rédacteur en chef de l’Agence Ecofin et chercheur Afrique francophone au sein cette ONG, nous présente le panorama mondial de l’opacité financière.  

Tax Justice Network vient de publier son indice d’opacité financière 2022. Quels pays sont les principaux responsables de cette opacité ?

Le niveau de responsabilité d’un pays dans l’opacité financière mondiale résulte de deux éléments : primo, le niveau de facilité que le pays accorde aux entreprises et aux individus pour effectuer des transactions financières secrètes à l’étranger et échapper ainsi à l’application des lois, surtout fiscales. Secundo, le poids global du pays sur les volumes de transactions financières offshores mondiales.

A ce double titre, le pays qui réalise la pire des performances, ce sont les Etats-Unis d’Amérique. Non seulement ils sont identifiés comme étant le plus grand pourvoyeur de services d’opacité financière dans le monde, mais ils ont atteint le niveau le plus élevé d’opacité jamais relevé, depuis qu’existe l’indice. Viennent ensuite la Suisse, Singapour, Hong-Kong et le Luxembourg.

Le pays où on note la plus grande amélioration, ce sont les Îles Caïmans. Mais il faut préciser que c’est parce que sur la base de nouvelles informations, il a été réalisé que son poids global sur les transactions financières offshores était plus faible qu’initialement estimé.

En Afrique, le Libéria est le pays qui s’est le plus enfoncé, mais c’est surtout parce que son volume de transactions financière offshore a augmenté.

Et au niveau de la lutte contre l’opacité financière, qui a progressé ? qui a régressé ?

Si nous parlons exclusivement du score d’opacité qui s’obtient après avoir évalué la capacité des lois et systèmes juridiques des pays à limiter ou permettent la dissimulation des transactions financières transnationales, les données nous révèlent que le pays qui a connu le plus d’améliorations, c’est l’Islande, avec un score d’opacité qui a diminué de 14,9 points.

La Suisse, un pays où on retrouve plusieurs entreprises actives en Afrique, s’est aussi améliorée, mais reste le deuxième plus gros responsable de l’opacité financière dans le monde.

En Afrique, nous avons noté plusieurs améliorations, notamment en ce qui concerne l’enregistrement de la propriété effective et la coopération internationale.

Par quoi se traduit l’opacité financière très concrètement ?

Il existe différentes formes de l’opacité financière, comme le secret bancaire ou les sociétés écrans anonymes. A chaque fois l’objectif de la pratique est de brouiller les pistes entre un actif et la personne qui le possède et en bénéficie. Cela permet d'échapper au paiement de l'impôt, ainsi que de dissimuler tout lien que l'actif pourrait avoir avec une situation illégale de monopole, une personne sanctionnée ou même le crime organisé. Pour les besoins de l’indice, il existe 4 catégories d’indicateurs d’opacité qui sont réparties sur 20 indicateurs principaux. On évalue les règles en matière d’enregistrement de la propriété effective, le niveau de transparence sur les entités légales, l’intégrité de l’administration fiscale et le niveau de règlementation financière, et enfin le niveau de participation à la coopération internationale, ainsi que le respect des standard mondiaux.

Quelles sont les conséquences pour l’Afrique de cette opacité ?

Plusieurs indicateurs permettent de répondre à cette question. L’opacité financière comme nous le disons permet de dissimuler des richesses acquises en violant des lois ou en évitant de payer les impôts. Si on s’appuie sur un rapport publié par la Commission des Nations Unies pour le Commerce et le Développement en 2022, l’Afrique a perdu en moyenne 88 milliards $ chaque année, en raison surtout de pratiques commerciales frauduleuses, mais aussi d’actions comme la corruption, et les trafics de toutes les sortes. Cette somme représente un peu plus de deux fois les transferts des migrants, vers les pays d’Afrique subsaharienne en 2021 selon des données de la Banque mondiale. D’un point de vue purement économique, c’est l’épargne africaine qui est diminuée, alors que, comme on l’a vu avec la Covid-19 et les conséquences du conflit en Ukraine, les gouvernements de la région ne peuvent compter que sur eux-mêmes lorsque surviennent des crises majeures. Les appels à une annulation de la dette africaine n’ont pas été entendus à la hauteur des attentes, la promesse faites par les pays riches de céder leurs DTS supplémentaires émis par le Fonds Monétaire International est encore aujourd’hui un mirage, et l’accès des pays africains au marché international de la dette est beaucoup trop difficile et coûteux.

L’autre indicateur que nous pouvons avancer c’est celui du rapport sur l’état de la justice fiscale dans le monde dont la dernière édition a été publiée par Tax Justice Network en novembre 2021. Il révèle que l’Afrique perd près de 17,2 milliards $, en raison de l’évasion ou de l’évitement fiscal des multinationales ou des riches fortunés. C’est autant de ressources qui auraient permis aux gouvernements d’accélérer la vaccination contre le covid-19 sur le continent, et soutenir les acteurs économiques qui ont été mis en difficultés. Enfin, selon un rapport publié au troisième trimestre 2021 par le Fonds Monétaire International, les multinationales minières font perdre jusqu’à 750 millions $ à l’Afrique subsaharienne, à travers des abus fiscaux.

L’un des enjeux majeurs d’aujourd’hui est celui du changement climatique et le besoin d’adaptation de l’Afrique. Le continent subit une injustice en ce qu’il subit les conséquences d’une surindustrialisation menée par les pays riches. Ses dirigeants doivent continuellement répondre, avec des ressources très limitées, aux dégâts causés par les longues sècheresses ou des pluies diluviennes. En facilitant la dissimulation des capitaux sortis illicitement d’Afrique, l’opacité à des conséquences sur la capacité du continent à atteindre les Objectifs de Développement Durable et plus simplement de répondre aux besoins de ses populations en infrastructures et services publics adéquats.

Où se situent des pays comme la Chine, la Russie ou les pays du Golfe dans cet indice ?

La Russie est au 43ème Rang de l’indice ce qui est une mauvaise performance car c’est bien au-dessus de la moitié d’une liste de 141. Son système juridique donne des possibilités pour dissimuler la propriété effective et ne permet pas assez de transparence pour ce qui est des entités légales. Dans le Golfe le pays le plus en vue dans une perspective africaine, ce sont les Emirats Arabes Unis, qui comportent l’émirat de Dubaï, un hub des affaires pour le continent. Le score d’opacité de cette juridiction est parmi les plus élevés de l’indice. Cet Etat est à la huitième place de l’indice une position qui s’est dégradée et qui est alarmante. La Chine premier partenaire commercial de l’Afrique et premier investisseur en tant que pays, est remonté au haut du classement. On remarque dans ce cas, que c’est plus la dégradation de son score d’opacité qui explique cette évolution des choses

L’OCDE a fixé une norme internationale en matière d’échanges d’informations financières. Qui la respecte ?

Déjà il faut préciser que ce n’était pas une position de l’OCDE au départ, mais de la société civile internationale emmenée par Tax Justice Network. Cela a été une grande victoire de voir cette organisation, difficile à convaincre, d’accepter une idée autre que celle qu’elle défendait, à savoir les échanges d’information fiscales à la demande. Selon une liste qui est régulièrement mise à jour, 115 pays dans le monde ont déjà accepté de participer à ce programme d’échange automatique d’information au 31 janvier 2022. Les pays membres de l’Union Européenne ainsi que la Grande Bretagne et des dizaines d’autres pays respectent la norme depuis 2017. D’autres pays comme la Chine et ses pays satellites (Macao, Hong-Kong) ou encore les Emirats Arabe Unis respectent eux aussi la norme. En Afrique seulement 4 pays participent activement, notamment le Ghana, l’Afrique du Sud, les Seychelles et le Nigéria. Le Kenya et le Maroc se sont engagés à le faire en 2022 et l’Ouganda en 2023.

Cependant plusieurs pays africains ne respectent pas le standard. Cela ne leur a pas été demandé en raison de leurs faibles poids sur la finance internationale et ils n’ont pas pris d’engagement dans ce sens. C’est une position qui n’est pas avantageuse, car elle ne prend pas en compte le fait que plusieurs entreprises notamment minières, sont présentes sur des places financières mondiales ayant pour actifs des ressources basées en Afrique. Le grand absent dans la mise en œuvre de cette norme reste les Etats-Unis d’Amérique. La responsabilité de ce pays est très grande, au regard de sa place sur le système financier international.

Que préconise Tax Justice Network pour assurer une meilleure transparence financière ?

La transparence financière, selon Tax Justice Network, a toujours reposé sur trois principaux piliers. Le premier est l’échange automatique d’information. Il est absolument important que se mettent en place un système qui permet aux administrations fiscales du monde entier d’avoir un égal accès aux informations sur les actifs et les contribuables. Le deuxième pilier qui renforce le précédent, est celui de la mise en place d’un registre de la propriété effective. Il existe des registres pour plusieurs choses, et pourtant malgré le niveau actuel d’avancement technologique, le monde ne parvient toujours pas à avoir un registre qui permettrait de savoir qui sont les propriétaires ou bénéficiaires finaux, personnes physiques, d’un bien, un actif, ou tout autre patrimoine dans le monde. Enfin Tax Justice Network défend l’idée d’un reporting pays par pays des rapports financiers par les entreprises multinationales.

La vraie justice fiscale serait de payer les impôts, dans les endroits où les entreprises réalisent la part la plus importante de leurs activités économiques, et non dans des juridictions offshores où sont implantées des filiales de supervisions, parfois sans aucune activité réelle et où il n’y presque pas ou pas du tout d’imposition. Si on peut avoir une idée des performances par pays pour toutes les multinationales, cela apportera plus de transparence sur le niveau de juste impôt qu’un pays est en droit de prélever.

Ces principes ne sont plus seulement portés par Tax Justice Nework. De nombreux autres organisation de la société civile internationale, notamment Eurodad ou encore Global Tax Alliance soutiennent cette idée, et l’ont matérialisée dans la formulation d’une convention fiscale sous l’égide de l’ONU qu’ils ont récemment proposée. Le 17 mai 2022 à Dakar, cette proposition a fait l’objet d’une résolution des ministres africains des finances, de l’économie et de la planification afin de lutter contre les abus fiscaux, qui privent le continent des ressources nécessaire au financement de leurs budget et surtout après qu’ils aient constaté, avec la Covid-19, qu’il ne peuvent compter que sur eux-mêmes lorsque surviennent des crises majeures.



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