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COP 26 à J-15 : « L’adaptation est désormais un enjeu de sécurité nationale, voire de survie » Amb. Seyni Nafo

  • Date de création: 14 octobre 2021 16:15

(Agence Ecofin) - Après une année sans COP en raison de la pandémie du coronavirus, les négociations climatiques reprennent à Glasgow. La délégation africaine des négociateurs est plus que jamais mobilisée. L’Ambassadeur Seyni Nafo, porte-parole du Groupe africain des négociateurs à la COP, dévoile à l’Agence Ecofin les grandes lignes et les ambitions du continent à la COP 26 de Glasgow.

Agence Ecofin : Quel est l’enjeu majeur de la COP 26 ?

Seyni Nafo : La COP commence le 1er et le 2 novembre prochain avec un Sommet des chefs d’Etat visant à obtenir davantage d’annonces fortes par nos leaders en termes de réduction des émissions, de financement et de coopération technologique. L’ambition numéro 1 est d’accélérer la lutte contre les émissions de GES, véritables responsables du dérèglement climatique. A cette COP, les pays présenteront leurs nouvelles Contributions Nationales Déterminées (CDN). Les CDN sont des plans quinquennaux contenant leurs participations volontaires à la réduction des émissions globales de gaz à effet de serre et leurs mesures d’adaptation aux impacts climatiques.

Toutes les CDN soumises avant fin juin ont déjà fait l’objet d’une compilation et d’une agrégation sur l’ambition globale par le Secrétariat de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques. Cette agrégation permettra de déterminer le niveau de hausse de température qui sera obtenu avec leur mise en œuvre. Il y a 5 ans, l’ambition globale nous mettait sur une trajectoire de 3,5 °C de hausse de la température mondiale d’ici à 2100 par rapport à l’ère préindustrielle. Les premières estimations du Secrétariat dévoilent une trajectoire à 2.7 °c, nous sommes toujours loin de l’objectif 1,5 °C adopté à Paris (COP21, 2015) mais un infléchissement sensible est perceptible.

« Il y a 5 ans, l’ambition globale nous mettait sur une trajectoire de 3,5 °C de hausse de la température mondiale d’ici à 2100 par rapport à l’ère préindustrielle. Les premières estimations du Secrétariat dévoilent une trajectoire à 2.7 °c. »

L’architecture de l’Accord de Paris repose fondamentalement sur cette mise à niveau périodique et permanente des efforts de lutte contre le dérèglement climatique grâce à la soumission de nouvelles CDN tous les cinq ans par l’ensemble des 196 états-parties. A travers ce mécanisme, notre ambition à l’horizon 2030, est d’atteindre une trajectoire au moins à 2,0 °C, et accélérer la neutralité carbone bien avant 2050, seul gage de limiter à 1,5°C la hausse de la température à l’horizon 2100.

AE :  L’adaptation demeure-t-elle une priorité à cette COP ?

SN : Si l’atténuation des GES est notre priorité absolue à l’échelle globale, l’adaptation au dérèglement climatique est la priorité fondamentale sur le continent africain. De plus, avec les inondations en Europe, les incendies aux Etats-Unis, cette question revêt aujourd’hui une importance extrême, notamment en termes de coût.

L’Afrique ne représente qu’à peine 4 % des émissions globales, mais elle sera la région la plus frappée par les effets du phénomène. De plus, son économie, ses villes et ses campagnes seront les plus exposées du fait du niveau de développement et de la pauvreté.

S’adapter au dérèglement climatique est donc plus qu’une question environnementale ; c’est un enjeu de développement, de sécurité nationale, voire de survie à l’échelle locale.

AE :  Que fait le continent pour affronter cette particularité face au changement climatique ?

SN : L’Initiative Africaine sur l’Adaptation (AAI) lancée par les Chefs d’Etat du continent lors de la COP21 répond à ce besoin stratégique d’assurer à l’Afrique les moyens d’accroître significativement la résilience de ses écosystèmes, économies et populations. Notre objectif à Glasgow est d’arriver à un Paquet de solutions et mesures concrètes pour l’adaptation et l’Afrique. Pour ce faire, nous avons lancé le 6 avril dernier, sous l’égide de l’UA et de l’ONU, avec la Banque Africaine de Développement (BAD) et le Centre Mondial de l’Adaptation (GCA) du Secrétaire Général Ban Ki-Moon, le Programme d’Accélération de l’Adaptation en Afrique (PAAA).

« Le PAAA vise à mobiliser 25 milliards $ au cours des 5 prochaines années pour mener des actions d'adaptation transformationnelles en Afrique. Il couvrira les domaines des infrastructures, de la sécurité alimentaire, du développement urbain et de l'autonomisation des jeunes. »

Le PAAA vise à mobiliser 25 milliards de dollars US au cours des cinq prochaines années pour mener des actions d'adaptation transformationnelles en Afrique. Il couvrira les domaines des infrastructures, de la sécurité alimentaire, du développement urbain et de l'autonomisation des jeunes. La BAD s'est déjà engagée à verser 12,5 milliards de dollars US au Programme. Avec elle et le GCA, nous travaillerons ensemble à mobiliser les fonds restants auprès d’autres partenaires bilatéraux et multilatéraux, les grandes fondations philanthropiques et le secteur privé. Ces fonds soutiendront les politiques en amont et le travail préparatoire des projets, et permettront de tirer parti des solutions innovantes pour accélérer l'adaptation.

Pour Glasgow, l’objectif de mobilisation est fixé à 6,25 milliards $ soit 50 % des 12,5 milliards manquant à l’appel. L’année prochaine à la COP27 en Egypte, nous n’avons pas doute sur notre capacité à mobiliser le solde final.

AE : L’année 2020 était la date fatidique pour faire le point sur les 100 milliards $ promis aux pays pauvres par les pays riches. Qu’en est-il et quelle suite sera donnée à ce volet ? 

SN : Le financement est l’une des priorités de cette COP. Les pays développés ont pris, en 2009, l’engagement de mobiliser 100 milliards $ par an pour les pays en voie de développement.  A partir de 2020, ils devaient augmenter la taille de ce financement. Selon l’OCDE, le montant est exactement 79,6 milliards de dollars US en 2019 ; manifestement le compte n’y est pas, et de loin ! Le retrait américain en 2016 de l’Accord de Paris avait eu pour effet de réduire drastiquement les financements climat (les Etats-Unis représentant historiquement jusqu’à un tiers du total). Le Président Biden, depuis son arrivée, à la Maison Blanche, a annoncé le quadruplement de la contribution américaine pour la porter à 11,4 milliards de dollars US annuels. Les consultations se poursuivent afin de d’atteindre les 33 milliards, au moins avant la fin de son mandat.

Il vient de se tenir à Dakar la conférence ministérielle africaine de l’environnement où les ministres ont décidé de porter la nouvelle cible à un minimum de 1300 milliards de dollars US annuels à l’horizon 2030, sur la base d’estimations préliminaires du Groupe des négociateurs.

Cette estimation présuppose que l’Afrique obtienne un tiers du financement (plus de 430 milliards $). Sur la base d’une répartition équitable entre adaptation aux impacts et atténuation des GES, près de 215 milliards $ pourraient être injectés pour mieux adapter le continent aux dérèglements climatiques.

AE : Si cette nouvelle cible est acceptée, comment faire pour mobiliser 1300 milliards $ d’ici 2030 alors que les pays ont échoué à mobiliser 100 milliards $ par an ?

SN : Le Groupe a déjà soumis une proposition à nos partenaires pour parer aux précédentes insuffisances. A Glasgow, en novembre, nous devons adopter la feuille de route de la négociation 2021-2025. L’Afrique propose qu’elle se fasse en deux temps : un processus technique sur une base quantitative et objective, suivi d’une négociation politique.

En effet, en 2009, les pays développés avaient annoncé les fameux 100 milliards $, sans un travail technique préalable pour connaître le besoin réel des pays en voie de développement.

Tout d’abord, le processus technique doit être piloté par un groupe d’experts de haut niveau représentatif des 196 états-parties. Nous avons expérimenté avec brio cette approche lors de la négociation de l’Instrument juridique qui a donné naissance au Fonds vert pour le Climat (GCF).

Cela permettra de préciser le niveau des besoins et établir par exemple que pour l’Afrique, il faut tel chiffre par an pour l’adaptation ou pour les énergies renouvelables, et cela pour les autres régions et thématiques au niveau mondial. Le Groupe d’experts présentera également une typologie des ressources pouvant être mobilisés et les instruments idoines devant y arriver. Cela pourra se faire par exemple par stimulus monétaire, via les banques centrales des pays développés, par l’émission de nouveau Droits de Tirage Spéciaux (DTS) auprès du FMI ou par des mécanismes de garanties adossés aux notes AAA des pays développés.

« Cela pourra se faire par exemple par stimulus monétaire, via les banques centrales des pays développés, par l’émission de nouveau Droits de Tirage Spéciaux (DTS) auprès du FMI ou par des mécanismes de garanties adossés aux notes AAA des pays développés. »

Les revenus concessionnels et en monnaies locales provenant d’émissions obligataires vertes, les prélèvements sur les marchés carbones, ou encore la redirection des subventions fossiles des pays développés vers des secteurs verts dans les pays en développement font également partie des instruments envisagés pour cette mobilisation.

Cette contribution technique exhaustive informera et permettra d’ancrer la négociation politique qui suivra sur des bases objectives et réelles en ayant, au préalable, identifié les besoins des pays en développement et quantifié les sources de financement potentielles. Toute chose qui aura le mérite de focaliser et limiter les négociations politiques aux choix d’options techniques préétablis : tout ce qui avait manqué dans la détermination de la cible initiale en 2009.

AE : Un autre sujet en suspens depuis la COP 21 à Paris est la finalisation du Rulebook « ensemble de règles, procédures et lignes directrices » . Quels sont les pans de cette feuille de route de la mise en œuvre de l’accord de Paris qui restent en suspens ?

SN : Effectivement, il manque 2 chapitres pour compléter le « manuel de procédures » devant opérationnaliser les dispositions techniques de l’Accord de Paris. Il s’agit du chapitre sur la transparence de l’action climatique (réduction des GES, adaptation et surtout financement climatique) et du chapitre sur les mécanismes de coopération (succinctement les nouveaux marchés carbone).

Prenons les discussions sur la transparence des flux financiers du nord vers le sud : un sujet éminemment technique, mais dont les ramifications sont extrêmement politiques. La place du financement n’échappe à personne. La preuve est la question emblématique des 100 milliards $ annuels demeure pour la majorité le seul intérêt des négociations en cours. Par conséquent, une transparence sans équivoque permettant un suivi inclusif et consensuel de sa mise en œuvre garantirait un niveau de confiance essentiel pour tout le reste du processus.

Hélas, la diversité des approches et des normes comptables, la typologie des actions climatiques, la multiplicité des instruments financiers, des canaux de distribution et devises employés, rend tout exercice de rapprochement comptable objectif extrêmement difficile, voire impossible, face à une insuffisance structurelle de règles communes ou tout au moins comparables. Cela a profondément miné la confiance dans le processus de suivi des engagements financiers et a abouti à une méfiance, voire une défiance qui a jailli sur l’ensemble des sphères de négociation.

Les niveaux de contribution annoncés sont parfois systématiquement contredits, voire rejetés par les parties récipiendaires, soutenus le plus souvent par les évaluations de la société civile internationale des mêmes pays développés.  

Le Groupe africain a longuement travaillé sur cette problématique ces deux dernières années et vient à la COP de Glasgow avec des propositions concrètes. Nous y proposerons des formats communs de reporting, et de questions de clarification à adresser, tant pour les pays développés que pour ceux en développement, afin d’augmenter significativement la transparence des flux. La levée de ces barrières permettra d’assurer une compréhension commune sur les niveaux de financement, une étape fondamentale vers plus de confiance et in fine plus d’ambition et de ressources financières.

Propos recueillis par Gwladys Johnson Akinocho

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