(Agence Ecofin) - Dans la course vers l’accès universel à l’énergie en Afrique, les mini-réseaux solaires présentent un double avantage. Ils utilisent une ressource abondante sur le continent, et épargne les coûteuses et lentes expansions du réseau électrique national. Si la solution fait son chemin auprès des décideurs et des autorités, elle représente toujours un défi de taille, notamment dans la mobilisation du financement nécessaire à son implantation. L’Agence Ecofin s’est entretenue avec Antoine Veyre, le directeur financier de Sunkofa Energy, une entreprise spécialisée dans le déploiement des mini-réseaux en Afrique. Il nous fait part de la problématique du financement de ces solutions énergétiques.
Agence Ecofin : Quelle est la taille moyenne d’un mini-réseau solaire aujourd’hui ?
Antoine Veyre : La taille moyenne varie en fonction des localités visées. Les villages que nous électrifions ont entre 1000 et 5000 habitants ce qui nécessite 200 et 300 connexions.
Antoine Veyre : « Les investisseurs ont besoin d’être rassurés »
Nous construisons donc des mini-réseaux, alimentés par des mini-centrales donc la capacité varie entre 30 et 70 KW.
AE : Comment financez-vous ces infrastructures ?
AV : Le financement des mini-réseaux se fait par un mix subvention-prêts commerciaux-capitaux propres. Nous avons besoin de subvention aujourd’hui pour rendre un mini-réseau rentable. C’est un fait. La question, c’est de savoir sous quelle forme et pour quel montant. Actuellement, la subvention représente en moyenne 50 % du financement de ces infrastructures. Les agences de développement appuient les Etats pour qu’il puisse apporter le niveau de subvention nécessaire.
« Nous avons besoin de subvention aujourd’hui pour rendre un mini-réseau rentable. C’est un fait. »
Quand nous avons la subvention et que le projet a été estimé économique, nous pouvons combiner plusieurs projets pour atteindre une taille critique et obtenir de la dette commerciale. Les investisseurs ont besoin d’être rassurés sur les profils de risque projet, ce qui implique d’avoir un certain historique. Et comme le secteur des mini-réseaux est encore assez jeune avec peu données de consommation et de paiement, les prêteurs sont réticents à fournir des prêts sans recours. Ils ont donc besoin de certains supports tels que les garanties pour se décider.
« Et comme le secteur des mini-réseaux est encore assez jeune avec peu données de consommation et de paiement, les prêteurs sont réticents à fournir des prêts sans recours. »
Les capitaux propres (equity) sont nécessaires à cause des limitations dans l’octroi des prêts pour les mini-réseaux. La mobilisation de l’equity nécessite de pouvoir s’attirer du capital patient, c'est-à-dire des investisseurs à long-terme, capables d’accepter des délais de maturation de 7, voire 8 ans. Cela soulève un défi car en Afrique, il n’y a pas forcément le tissu d’investisseurs à long terme en equity, prêts à investir sur ce type de projets.
AE : Comment rentabilise-t-on un mini-réseau solaire ?
AV : La rentabilisation des mini-réseaux est assurée par le paiement des consommateurs qui y sont raccordés. Lorsqu’on installe le mini-réseau, on y raccorde des ménages ainsi que de commerces, et des petites entreprises qui en font un usage productif. Ces utilisateurs versent, dans un premier temps, un acompte pour couvrir les frais de connexion. Par la suite, ils peuvent prépayer l’électricité et la consommer. Ce paiement se fait soit à un tarif prédéfini comme avec les compagnies électriques nationales, soit en souscrivant à un forfait. Le paiement du forfait garanti une quantité d’énergie nécessaire pour alimenter les équipements des consommateurs.
La capacité de paiement des clients est limitée. Les mini-réseaux sont installés dans des zones pauvres, et donc, pour que l’on atteigne la rentabilité, il faut que ces clients paient le niveau prévu ou mieux. Une bonne capacité de paiement nécessite qu’il y ait suffisamment d’activité dans le village. La création de pôle économique dans le village est donc primordiale.
L’enjeu avec les mini-réseaux solaires est d’éviter la baisse de la consommation parce que nous dépendons de la demande du village pour notre rentabilisation. Il nous faut donc être très actifs dans des activités de stimulation de la demande, être focalisé sur un certain type de clients, ceux qui font un usage productif de l’électricité. C’est en effet ce type de clients qui justifie le recours aux mini-réseaux en lieu et place de la distribution des kits solaires.
« Il faut être focalisé sur un certain type de clients, ceux qui font un usage productif de l’électricité. C’est en effet ce type de clients qui justifie le recours aux mini-réseaux en lieu et place de la distribution des kits solaires. »
La première approche est d’avoir un lien avec ces clients, de les connaître et de mettre en place des échanges avec des coopératives actives dans le domaine de l’agriculture ou la micro-finance par exemple. Cela leur permet d’avoir accès à du financement pour pouvoir acheter des machines ou à des opportunités de développement de leurs activités.
« C’est plus facile lorsque l’investissement de départ est en devise locale et non en dollar. »
Si les consommateurs deviennent plus riches, ils consomment plus d’électricité. La mise en place de ce type d’écosystèmes demande un ensemble de compétences très complexe. Il est donc important de mettre en place le bon système de partenariat pour avoir accès aux autres compétences dont nous ne disposons pas en interne.
AE : Quelles difficultés rencontrez-vous dans le développement de ces infrastructures ?
AV : La question de taille des mini-réseaux représente un défi à résoudre pour avoir un meilleur accès au financement. Les mini-réseaux coûtent en moyenne, 200 000 ou 300 000 $. Ils sont trop grands pour les petits financeurs qui octroient de la micro-finance et trop petits pour les grands.
« Les mini-réseaux coûtent en moyenne, 200 000 ou 300 000 $. Ils sont trop grands pour les petits financeurs qui octroient de la micro-finance et trop petits pour les grands. »
Nous devons donc en construire un certain nombre, environ 50 pour atteindre la rentabilité. Et parfois, ce regroupement ne permet pas d’atteindre des tailles critiques qui vont intéresser les grands financeurs comme les agences de développement par exemple.
Le deuxième challenge est lié au fait que ce type de projets est encore inconnu pour les financeurs. C’est un projet qui a un réseau à gérer ainsi qu’une unité de génération, et aucune garantie de paiement des clients. C’est un risque client assez différent de celui des centrales conventionnelles, d’autant plus que les clients sont relativement pauvres.
Il y a également la nature de l’actif. Il y a une nécessité d’éducation auprès des financeurs pour qu’ils comprennent en quoi consistent les mini-réseaux solaires ; un projet de long terme. Cela implique qu’on doit attendre 7 à 8 ans avant de pouvoir se rembourser, il n’y a pas de mini-réseau qui peut se rembourser en 2 ou 3 ans.
AE : Comment y faites-vous face ?
AV : Pour obtenir facilement de la subvention, nous priorisons les projets dans lesquels des agences de développement crédibles supportent des gouvernements locaux à divers titres. Ce support peut être technique, pour accroître la capacité des administrations, ou financier, à travers la subvention. L’autre option qui est proactive est de se renseigner sur les opportunités offertes par les agences de développement, en liaison avec les Etats africains, pour répondre aux défis de l’électrification et de faire des propositions.
« La rentabilisation des mini-réseaux est assurée par le paiement des consommateurs. »
Pour mobiliser les capitaux propres, nous nous orientons de plus en plus sur les structures de financement par grappes de projets. Il existe également des entités dédiées, des véhicules de financement dédiés à ce type de projets. Ces entités juridiques mettent en place un programme de déploiement de mini-réseaux. Cela rassure plus les financeurs, notamment sur la destination des fonds alloués qui est très clairement déterminée au départ.
Le challenge du financement par la dette est lié au délai de maturation qui est de 7 à 8 ans et qui suscite des propositions de prêts avec 20-30 % d’intérêt par an. Ce qui économiquement n’est pas valable.
« Le challenge du financement par la dette est lié au délai de maturation qui est de 7 à 8 ans et qui suscite des propositions de prêts avec 20-30 % d’intérêt par an. Ce qui économiquement n’est pas valable. »
Pour répondre à ce défi de la dette, il faut éduquer la communauté financière et les prêteurs afin de réduire leur coût de due diligence pour les projets. Nous devons également mettre en place des mécanismes qui permettent de réduire les taux d’intérêts proposés par les prêteurs. Pour ce faire, les agences de développement peuvent fournir par exemple aux banques des garanties qui permettront non seulement de réduire le taux d’intérêt proposé, mais aussi d’avoir un délai de maturité raisonnable.
AE : Vous avez évoqué le regroupement des projets par grappe pour atteindre une taille critique. Quand cette taille est elle atteinte ?
AV : La taille moyenne varie entre 30 et 50 mini-réseaux pour atteindre cette taille critique. Mais cela dépend de la taille individuelle des mini-réseaux qui elle dépend du nombre de personnes raccordés. La taille critique doit être atteinte pour des raisons financières et pour réaliser des économies d’échelle. Le financement des mini-réseaux se compose en effet de coûts opérationnels qui sont variables et de frais généraux et administratifs qui sont fixes. La combinaison de plusieurs projets de mini-réseau permet de réaliser des économies sur les frais fixes liés à la gestion d’actifs.
« La taille critique doit être atteinte pour des raisons financières et pour réaliser des économies d’échelle. Le financement des mini-réseaux se compose en effet de coûts opérationnels qui sont variables et de frais généraux et administratifs qui sont fixes.»
La notion de taille critique sera appréhendée différemment selon que l’on développe les mini-réseaux dans des régimes assez libéraux où la charge de mobilisation de la subvention revient au développeur, ou dans des régimes plus contrôlés où les mini-réseaux sont implantés dans le cadre d’appels à projets. Dans les cas d’appels à projets, il faut atteindre une certaine taille pour être pré-qualifié. Il y a donc un intérêt à associer à une autre compagnie, ce qui permet également de partager les compétences.
AE : Quels sont les types d’investisseurs privés qui s’intéressent au financement des mini-réseaux ?
AV : Les investisseurs qui s’intéressent le plus aux mini-réseaux actuellement sont des fonds d’impact tels que Acumen, ResponsAbity ou Sunfunder. Ces fonds d’investissement ont pour critères, non seulement la rentabilité, mais également l’impact de leurs investissements sur l’environnement et sur la société.
Il y a également des organisations plus classiques ; des fonds d’investissement en infrastructures comme Meridiam. Les banques des agences de développement investissent également dans les projets de mini-réseaux solaires.
Une autre catégorie d’investisseurs est constituée par les grandes compagnies actives du secteur énergétique qui créent des fonds pour investir dans ce type de projets. Ces investissements peuvent être internes ou dirigés vers des entités qui sont dans ce sous-secteur.
AE : Quels sont les autres défis restant à relever pour le développement des mini-réseaux en Afrique ?
AV : L’idéal serait que le tissu financier local prenne le relai. Dans un projet de mini-réseau, le revenu va provenir des clients dans les campagnes et sera en devise locale. C’est donc plus facile lorsque l’investissement de départ est en devise locale et non en dollar.
Sur l’equity, il faut rassurer sur la question de la prise de risque. Cela se fait principalement grâce à une réglementation claire. Ce cadre normatif définit principalement les conditions légales d’implantation et d’exploitation de ces mini-réseaux, les tarifs applicables, les éventuelles conditions d’intégration du système au réseau. Si ces trois facteurs sont inconnus, il sera difficile de mobiliser du financement ou alors le financement sera obtenu à des conditions non-économiques pour l’exploitant.
Pour faire avancer la réglementation dans les pays qui n’en disposent pas, il est fait un lobbying auprès des administrations ainsi que des agences de développement parce que ce sont elles qui sont censées aider les Etats à définir les cadres réglementaires qui permettent de former des projets bancables.
Gwladys Johnson Akinocho