(Agence Ecofin) - Le prix du thé a fortement augmenté ces 5 dernières années sur le marché international et les producteurs d’Afrique de l’Est veulent se positionner sur du plus haut de gamme, les thés orthodoxes et, pourquoi pas, les thés fins que la Chine a remis au goût du jour, explique à commodafrica.com Barbara Dufrêne qui a été secrétaire général du Comité européen du thé de 1992 à 2004 et édite la Nouvelle Presse du Thé* depuis juillet 2010.
2013 s’annonce très bonne pour le Kenya avec une belle hausse de production déjà en janvier et des prix qui seraient en hausse. Quelle incidence cela peut-il avoir sur le marché mondial ?
L’Afrique ne représente que 15% de la production mondiale de thé. Ce n’est donc pas énorme. Mais c’est là où est produit le thé noir CTC qui est indispensable pour certains marchés, comme l’Egypte, le Pakistan, l’Afghanistan et de façon générale le Moyen Orient. De ce fait, l’Afrique joue un rôle important. La demande pour leur thé progresse chaque année depuis 2006-2007. Le marché est donc ferme.
La crise européenne a-t-elle un impact?
Oui, il y a eu une stagnation globale mais les thés fins, de haut de gamme, ont tiré leur épingle du jeu.
Donc pour le marché européen, il faut atteindre le haut de gamme ?
Sur le marché européen continental -en excluant l’Europe de l’Est où il y a beaucoup de CTC- c’est le haut de gamme qui a une niche importante. Mais en Angleterre, le thé africain prime. L’Angleterre est le 3ème ou 4ème marché consommateur du monde, avec environ 200 000 t.
La question des pesticides est un problème majeur dans le commerce mondial du thé. En quoi l’Afrique de l’Est tire-t-elle son épingle du jeu ?
Je dirais que c’est un plus pour les pays de l’Afrique de l’Est car il est unanimement reconnu que leurs cultures sont les plus récentes parmi les cultures de qualité ; le sol est moins usé qu’en Inde ou en Chine. En outre, pour la plupart, ce sont des cultures d’altitude. Donc un de leurs grands atouts est d’avoir recours à très peu de pesticides.
Pour que le thé africain soit davantage valorisé sur le marché international, faut-il nécessairement des labels, des certifications, etc. ?
En Afrique, 95% du thé est aujourd’hui encore des thés industriels, des CTC (crush, tear and curl), des thés qui vont dans les sachets. Ils ne font pas ou très peu de thés fins, des thés orthodoxes. Par définition, le thé CTC n’est pas un thé fin. L’Afrique de l’Est est toujours sur une logique de production industrielle, de gros volumes.
Ce qui signifie une relativement faible valeur ajoutée pour les thés kényans,
En effet les petites producteurs, regroupés sous la houlette de la Kenyan Tea Development Authority (KTDA), manquent d’équipement industriel, de machines qui ne déchirent pas les feuilles mais les roulent en douceur. Or, pour faire des thés orthodoxes, il faut à la fois le savoir-faire mais surtout un équipement spécifique qu’ils n’ont pas.
Ces pays d’Afrique de l’Est sont tout de même des très anciens producteurs de thé. Pourquoi ne se réveillent-ils que maintenant pour s’équiper ?
Mon opinion est que les thés fins reviennent à la mode -hormis les Darjeeling qui font 10 000 t et qui ont toujours été un thé de grand attrait et très cher- avec l’ouverture du marché chinois en 1998, 2000, 2002. Avant, ce n’était pas d’actualité : le thé africain se vendait bien. Mais il était sous-payé et quand les consommateurs ne paient pas le juste prix, cela entraine une désaffection pour la culture dans les pays producteurs.
Maintenant que le marché est devenu très ferme -cela fait maintenant la cinquième année de hausse des prix, les producteurs veulent aller au-delà et faire davantage de produits de qualité qui sont tout d’abord les thés orthodoxes.
Comment les thés africains se positionnent-ils par rapport aux thés chinois sur le marché mondial ?
La production de thé en Chine est restée très longtemps étatisée. En Occident, on ne pouvait guère acheter ce qu’on voulait, on n’avait plus guère accès à des informations, à des interlocuteurs compétents. L’industrie chinoise du thé a beaucoup souffert durant la révolution culturelle.
Depuis 2006, la Chine est redevenue premier producteur mondial, un rang qu’elle n’avait plus depuis 30 ou 40 ans. Elle a doublé sa production et a complètement bouleversé l’image du produit en remettant sur le marché des thés à des niveaux de prix totalement délirants qu’aucun Occidental n’est près à payer mais que des connaisseurs à Hong Kong, à Singapour et les riches Chinois d’outre-mer paient pour des petites récoltes de thé de terroir.
Donc, comme globalement le marché s’est affermi, l’Afrique s’est dit : « Thés de terroir ? Nous aussi nous voulons en faire ! ». Or, thé de terroir veut dire thé orthodoxe…
L’Afrique a le handicap de ne pas avoir de saisons très différenciées ; on cueille toute l’année donc il n’y a pas de thés primeurs même si on dit que les meilleurs thés sont cueillis lorsque la saison des pluies arrive. Il paraîtrait aussi, mais cela reste à vérifier, qu’il n’y aurait pas assez de variétés. Car tout ce qu’on a toujours cherché en Afrique de l’Est c’est le volume, la résistance à la sécheresse et aux maladies. On n’avait pas vraiment ciblé le développement de saveurs particulières. Contrairement à la Chine, à l’Inde et même au Sri Lanka où c’est un impératif.
On dit que les thés africains ont une bonne robustesse, une bonne tonicité, une belle couleur dans la tasse, mais il n’y a pas de nuances gustatives au fil des saisons. En plus, ils n’ont pas l’équipement pour faire des thés d’orthodoxes. Ce sont les deux freins de l’Afrique de l’Est pour développer des thés très fins et accroître leur valeur ajoutée sur le marché mondial. Il y a quelques petites exceptions dont les plus connues seraient au Rwanda où il y aurait eu à un moment donné des programmes d’aide des Etats-Unis qui ont permis de développer quelques plantations de thé orthodoxes avec des variétés clonales de qualité particulière, sur des sols volcaniques et cueillis à plus de 2000 m d’altitude. Même à l’époque du « tout-venant», ces thés avaient déjà leur réputation à la bourse de Londres. Ces volumes rwandais sont minimes mais cela signifie qu’il y a des possibilités à exploiter et à valoriser. A noter qu’au Rwanda, quasiment tous les directeurs d’usines sont des Sri lankais ce qui signifie qu’il y a un beau savoir-faire.
Il existe aussi de très petits volumes de thés orthodoxes au Kenya, mais pas encore au Burundi.
Quels seraient les débouchés pour des thés fins d’Afrique ?
Pas l’Angleterre qui consomme surtout des mélanges, des blends : les Anglais ne connaissent même pas les thés fins de Chine. Ce serait davantage les marchés d’Europe continentale, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Belgique où la notion de thés fins est la plus appréciée, surtout de Chine et d’Inde. C’est un marché de niche.
Quelle est la différence de prix entre un CTC et un othodoxe ?
Actuellement, le prix moyen au kilo est d’environ $ 3 contre $ 0,70 il y a dix ans. Probablement dans une première étape le prix du thé orthodoxe ne dépasse pas trois fois ce prix. Alors que certains thés en Inde peuvent être 20 fois plus chers et certains thés chinois jusqu’à 1000 fois plus chers que les thés de bas de gamme l’Afrique est en début du chemin à parcourir, une route prometteuse vers des valeurs ajoutés plus importantes dans l’avenir !
Meknès, Maroc.