(Agence Ecofin) - Ancien président du Burundi dont il est sénateur à vie, Haut Représentant de l’Union africaine, Pierre Buyoya est aujourd’hui candidat au Secrétariat Général de l’Organisation Internationale de la Francophonie. Ses qualités de médiateur, actuellement au service de la crise au Mali et au Sahel, ainsi que sa stature d’homme d’Etat, sont unanimement reconnues. Ses détracteurs lui reprochent d’avoir autrefois mené un coup d’Etat. Il leur répond qu’il a permis à son pays d’éviter le pire et qu’il a su rendre le pouvoir dès que possible à des institutions démocratiques.
Il aura samedi en face de lui de sérieux adversaires, parmi lesquels l’ancienne Gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean. Reste à savoir si l’Afrique saura faire corps pour soutenir l’un des siens, sachant que, d’ici une génération, près de 80% des Francophones seront Africains.
Agence Ecofin : Au terme de votre campagne, quelle a été l’attente la plus fréquemment exprimée par vos interlocuteurs à l’égard de la Francophonie ?
Pierre Buyoya : Partout où je me suis rendu, au delà des actions fortes que mène déjà la Francophonie, comme la promotion des droits de l’homme et de la bonne gouvernance, ou encore le développement des échanges culturels, il est évident qu’aujourd’hui l’attente la plus partagée dans la communauté francophone réside dans le développement d’un véritable espace économique. Il y a aussi une attente, en lien avec la première, qui est soulignée par la communauté scientifique, les universitaires, les entrepreneurs et autres animateurs du développement de la Francophonie. C’est de réaliser une communauté effective affirmée par une politique de libre circulation des idées et des personnes dans l’espace commun, la libre circulation des chercheurs, des universitaires et des entrepreneurs.
AE : Cette attente est-elle partagée au Nord comme au Sud ?
PB : Absolument. Les rapports Nord-Sud ont beaucoup changé ces dernières années. Les pays du Nord voient de plus en plus dans le Sud des opportunités de croissance dans un esprit de partenariat. Il suffit, pour s’en convaincre, de se référer à l’étude dirigée par Jacques Attali qui estime qu’une union économique francophone représenterait un grand potentiel de développement pour la France, comme pour l’ensemble de la communauté francophone. Pour les pays du Sud, il y a aussi conscience qu’un espace francophone dans lequel la coopération et des partenariats économiques plus concrets et mieux organisés, catalyseraient davantage le potentiel de leurs économies.
Pierre Buyoya avec Ban Ki-moon, Secrétaire général de l'ONU.
AE : Toutes les projections démographiques démontrent que la Francophonie de demain sera avant tout africaine. Comment cette prépondérance croissante doit-elle se traduire dans la gouvernance de l’OIF ?
PB : L’espace francophone est en pleine mutation et l’un des facteurs qui participent aux changements profonds de son visage, est la démographie croissante de l’Afrique. Et la Francophonie de demain sera effectivement avant tout, africaine. C’est la réalité !
L’OIF devra-t-elle alors évoluer pour tenir compte des mutations de son espace et du poids démographique de l’Afrique ou d’autres régions? La question est pertinente et mérite réflexion. Il viendra effectivement le temps où l’adaptation des institutions et la réorganisation des organes de gouvernance seront inévitables pour permettre de mieux gérer un espace de plus en plus étendu géographiquement et grand en population.
Allons-nous imaginer des représentations régionales de l’OIF ou des départements internes par zones géographiques suivant le poids démographique? Peut-être… peut-être pas ! Quoi qu’il en soit, l’évolution de la gouvernance en fonction du changement des dimensions de notre espace semble logique et naturelle.
AE : Les pays francophones développés, dont la France, étant en situation financière tendue, l’Organisation de la Francophonie doit-elle rechercher d’autres sources de revenus et de partenariats pour financer son développement ?
PB : Je dirais que, même si les pays industrialisés se trouvaient en situation économique plus favorable, il serait de toute façon nécessaire de développer d’autres sources de revenus pour financer le développement de la Francophonie. Il est impératif d’élargir le cercle des contributeurs et de développer des financements innovants. Par ailleurs, certains pays du Sud, forts de leur croissance économique, pourront probablement accroitre leurs contributions s’ils trouvent dans la Francophonie un soutien à la mesure de leurs attentes.
La Francophonie peut également collaborer avec le secteur privé et développer ainsi de nouvelles sources de recettes. Par exemple, les opérateurs télécoms reconnaissent que leur avenir économique se trouve en grande partie dans le Data, mais pour cela il est nécessaire de combler le déficit de contenus véritablement africains dans l’éducation, le divertissement, l’information, la création… Nous pouvons travailler avec eux pour apporter des solutions. Nous disposons d’une grande expertise dans ces domaines.
AE : Selon vous, sur le plan économique, que partagent réellement les pays francophones, à part l’industrie culturelle et une certaine approche du droit ?
PB : J’aimerais rappeler que si une grande partie du continent africain est parvenue à unifier son droit des affaires, dans le cadre de l’OHADA, c’est grâce à la Francophonie, et plus particulièrement à son secrétaire général Abdou Diouf, qui a soutenu cette initiative à chaque étape de son évolution. La création de l’OHADA a grandement contribué à améliorer le climat des affaires et la gouvernance économique de ses pays membres.
Mais je dirais, d’une manière générale, que partager la même langue constitue en soi un atout considérable pour développer les échanges. Il est évident que cela facilite la communication et la compréhension mutuelle. C’est d’ailleurs, encore une fois, l’argument essentiel du rapport de Jacques Attali sur la Francophonie économique. A ce titre, je préconise la création d’un grand forum économique annuel qui permettra de rapprocher les intérêts de tous les acteurs publics et privés de l’espace francophone.
AE : Dans votre programme, vous souhaitez une Francophonie active sur les thèmes de la bonne gouvernance et des Droits de l’homme. Par quels outils et actions pensez-vous agir dans ce sens?
PB : Ces outils existent et la Francophonie dispose déjà d’une importante capacité d’action dans ce domaine. Naturellement je souhaite mettre à profit mon expérience de médiateur, notamment en Afrique, pour renforcer encore ces dispositifs et accroître le rôle et l’expertise de la Francophonie dans la défense des valeurs de démocratie, des droits humains et de la bonne gouvernance.
La rencontre de deux médiateurs
AE : Etant vous même arrivé au pouvoir deux fois, par coups d’Etat, un pouvoir que vous avez quitté chaque fois de manière régulière, que pouvez-vous conseiller aux dirigeants africains actuels?
PB : Avant de vous répondre, j’aimerais tout d’abord que l’on se rappelle de la gouvernance politique qui était celle de l’Afrique des années 80 et 90 : la prépondérance des régimes à partis uniques, la quasi-absence de mécanismes démocratique pour assurer des changements au sommet de l’Etat en cas de nécessité (crises ou blocages politiques), etc. Et dans la majorité des cas, une absence de libertés et de justice, tout un ensemble de germes dangereux contre l’épanouissement individuel et collectif, des menaces pour la Paix et la Prospérité de nos communautés nationales.
Dans mon pays, situé dans une région en proie à de terribles violences, je suis intervenu par deux fois dans ce contexte, parce que j’avais estimé qu’il était de mon devoir et de mon pouvoir, d’éviter à mes concitoyens de subir des tragédies comme d’autres pays en ont connues. Ceux qui connaissent l’histoire du Burundi et qui en ont quelques souvenirs se rappellent bien de cette époque et du contexte dégradé sur le plan des libertés individuelles, les libertés religieuses, la justice, l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat, les crimes banalisés, etc.
Mais chaque fois, par deux fois, dès que la situation était favorable, j’ai su rétablir les mécanismes démocratiques, stabiliser les institutions et ensuite rendre le pouvoir.
Après ce devoir estimé accompli, je me consacre depuis 10 années à la médiation dans des conflits particulièrement difficiles et complexes.
Aujourd’hui, l’Afrique a changé et continue de changer. On ne reviendra jamais en arrière. Le monde avance et l’Afrique avec. Pour la survie de nos jeunes démocraties et pour la prospérité de nos pays, la sagesse nous commande de cultiver le respect des partenaires de la vie politique nationale, le respect des règles du jeu démocratique et de la culture du dialogue.
Le principal conseil que je me permets donc de donner humblement à mes interlocuteurs, quand l’occasion m’est offerte, c’est de savoir promouvoir le respect de la constitution, de s’interdire de la modifier pour se maintenir au pouvoir et de partir à temps. C’est ainsi que l’on contribue au renforcement de la culture démocratique et sert la cause de la Paix et la Prospérité. L’histoire a de la mémoire et saura toujours reconnaitre les mérites des dirigeants qui auront su sortir avec noblesse et sens de la responsabilité, pour le bien de leurs peuples mais aussi d’eux-mêmes!
Propos recueillis par Dominique Flaux
Lomé, Togo - Organisé par la BIDC.