(Agence Ecofin) - Samuel Brawerman (photo) est directeur de Tigo Cash, la filiale de l’opérateur de télécommunication Tigo RDC (République démocratique du Congo), spécialisée dans les services de mobile money. Il a accepté de parler des défis, des opportunités et des solutions, en rapport à l’objectif d’une plus grande inclusion financière en Afrique Centrale, sous le prisme de l’expérience de l’entreprise dont il a la charge. Rappelons que Tigo RDC est lui-même une filiale à 100% du groupe suédois Millicom. Ce dernier est présent en Afrique, au Sénégal, Tchad, Rwanda, Ghana, Tanzanie et RD Congo, ainsi qu’en Amérique Latine.
Agence Ecofin : Vous avez assisté récemment à Brazzaville, à la conférence sous-régionale sur l'inclusion financière en Afrique centrale. Comment se décline la promesse de Tigo Cash, pour ce qui est de la contribution en termes de solutions, aux défis de l’inclusion financière en République démocratique du Congo?
Samuel Brawerman : Pour l’instant cela se passe assez bien, il est clair qu’au début en 2012 lorsqu’on a lancé, cela a pris un peu de temps, parce qu’il fallait éduquer le marché, expliquer aux gens, aux partenaires quels étaient les avantages et bien positionner le produit, par rapport aux services formels et informels qui existaient déjà. Maintenant que les gens ont une compréhension bien plus approfondie du système et de ses avantages ont voit bien qu’il y a un décollage. Par rapport à la promesse d’inclusion financière, je crois que justement nous avons plus à jouer dans cette sphère. En effet, c’est un réseau qui parle au peuple, et qui répond à leurs besoins, Aujourd’hui, nos consommateurs ont vraiment réussi à l’intégrer dans leurs habitudes journalières.
Maintenant comment est-ce qu’on fait pour parler à nos clients. Cela a commencé par la compréhension de leurs besoins. Nous avons fait énormément d’études pour savoir ce que voulaient les Congolais. Il faut dire que tous ne veulent pas la même chose. Ceux de Kinshasa ont des besoins différents, de ceux du Bas Congo, du Kivu ou du Katanga. Au Bas Congo par exemple il y a une culture de l’épargne qui est très forte avec des systèmes d’épargne très ancrés dans la culture. Si on va par exemple au Kivu, la-bas, les gens sont très commerçants. Il y a de nombreux transferts donc ce qui les intéresse le plus c’est transférer de l’argent pour payer les services. Après avoir identifié les attentes, on a analysé les avantages qu’on pouvait leur donner sur chaque service. Relativement à la qualité et aux coûts. C’est en faisant cette étude que nous avons segmenté nos propositions et que nous pouvons aujourd’hui offrir des produits qui répondent aux besoins des populations congolaises, plutôt que de venir copier-coller ce qui se passe dans d’autres pays. Le point à retenir est que nous offrons à tous les Congolais l’accès aux services financiers. On peut maintenant épargner en toute sécurité, transférer de l’argent en toute simplicité et payer des biens et services à distance à bas prix. Nous avons plusieurs milliers d’agents actifs dans le pays.
AE : Le défis avec le bas de pyramide qui évidement contribue à renforcer la dignité humaine, c’est que cela à un certain coût, comment est-ce que Tigo Cash parvient à assumer la couverture du territoire afin de mieux atteindre sa clientèle cible ?
SB : Techniquement en termes d’infrastructures, nous avons une limite qui est assez classique, c’est celle du réseau mobile. Si le réseau n’arrive pas à un endroit il est difficile pour nous d’y offrir nos services. Il est possible, dans des endroits où il n’y a pas encore de réseau Tigo, que nous offrions nos services via une application mobile avec le data. Mais il faut dire que la pénétration du smartphone est encore faible, bien qu’elle augmente très rapidement. Pour l’instant ce n’est pas une option sur laquelle nous travaillons, mais on sait qu’elle existe et on garde cela en tête pour le jour où on voudra l’utiliser.
AE : Dans la sous-région, 37% de femmes n’ont toujours pas accès aux services financiers formels selon des rapports du FMI et de la Banque Mondiale, combien sont-elles vos clientes et est-ce que vous avez une stratégie particulière à leur endroit ?
SB : Malheureusement la façon dont on collecte les données ne prend pas en compte les critères de genre. Par contre, il faudrait effectivement changer cela pour davantage redéfinir les offres que nous faisons à nos clients et lorsque nous faisons notre communication. Il est évident qu’on ne peut parler de la même manière aux femmes qu’aux hommes car les deux catégories n’ont pas les mêmes besoins. Donc c’est quelque chose qui nous tient véritablement à cœur, non seulement à nous, au niveau national, mais aussi à un niveau plus global. Nous avons des programmes particuliers qui visent les femmes non seulement en tant que clientes, mais aussi en tant qu’agentes, tel que le réseau récemment lancé, Tigo WOMEN. De nombreuses études révèlent par exemple que les femmes sont des meilleures gestionnaires d’épargne que les hommes, donc nous travaillons beaucoup avec des femmes agents dans le cadre de programmes en interne, mais aussi avec des Organisations Internationals comme le DFID britannique.
AE : Comment se positionne aujourd’hui Tigo Cash, dans le conflit qui oppose, en Afrique Centrale, l’innovation à la régulation dans le processus d’inclusion financière via le mobile ?
SB : Nous, en République Démocratique du Congo, on a la chance que la Banque centrale a travaillé avec des experts internationaux afin de mettre en place des schémas directeurs, qui d’un côté garantit la protection du consommateur tout en favorisant l’innovation. La Banque centrale est très ouverte, proactive et je pense que c’est un facteur de réussite très important dans nos activités.
AE : Quelle est aujourd’hui la vision que Tigo Cash se donne pour ce qui est de l’inclusion financière des petites et moyennes entreprises dont on a parlé longuement lors de la conférence de Brazzaville ?
SB : Au-delà de notre cible principale, nos services sont aussi offerts aux PME qui peuvent l’utiliser de plusieurs manières. Nous venons de développer une application qu’on appelle le déboursement en masse, qui permet aux entreprises d’une certaine taille de pouvoir payer en un seul geste, des centaines voire des milliers de personnes. C’est ainsi qu’on paie des fonctionnaires, des employés de PME, d’ONG, des refugiés et autres personnes sensibles, qui n’ont pas toujours de comptes en banque. Les PME peuvent aussi décider d’avoir recours à ce service, afin de réduire les coûts des opérations financières liés aux règlements des salaires de leurs employés. Nous avons aussi un produit qui permet la collecte en masse, très utilisé par des églises, des ONG, qui elles peuvent plus rapidement mobiliser des ressources. Il y a aujourd’hui une chose très innovante, c’est l’utilisation du mobile money dans le cadre des jeux de téléréalité, au lieu d’envoyer un simple SMS comme on le faisait avant, maintenant, on peut envoyer un dollar ou 2$, et après tout cet argent-là, on le redistribue dans le jeu et ce sont les organisateurs qui s’en occupent.
Propos receuillis par Idriss Linge
Palais du Pharo, Marseille, France - Explorer, Investir, Réussir.