(Agence Ecofin) - Riadh Ferjani est sociologue des médias et membre du conseil de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) en Tunisie. Dans une interview parue dans le HuffPost Maghreb, il revient sur le rôle de la Haica.
Riadh Ferjani reconnaît que la Haica « fait peur » aux acteurs politiques, aux opérateurs économiques et même aux hommes de médias. La raison étant qu’en Tunisie, la régulation reste un phénomène nouveau qui effraie presque tout le monde. « Ce qui est nouveau n’est jamais très bien accepté au début », affirme Riadh Ferjani pour qui cette peur est liée à l’histoire de Tunisie, « avec un Etat autoritaire et des mouvements sociaux confrontés à la résistance ou à l’affrontement ».
Il rappelle que la mise en place de la Haica a été combattue, malgré sa légalité constitutionnelle. Et pour cause, les dirigeants n’ont pas de mainmise sur cet instrument de régulation, en même temps qu’ils assistent à « l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat qui, dans le champ audiovisuel, se traduit par une prolifération quasi-anarchique des diffuseurs compliquée par l’autoritarisme, le favoritisme et la prédation pré-révolutionnaires ».
Les médias sont tout aussi frileux, car la Haica ne saurait laisser passer les dérapages. Riadh Ferjani en veut pour preuve la mise en garde faite à la télévision d’Etat après la diffusion des images portant atteinte à la dignité humaine. « Depuis la guerre du Vietnam, les télévisions publiques et même privées se gardent généralement de diffuser les images de leurs propres soldats tombés sur le champ de bataille », rappelle-t-il. Depuis mai 2013 qu’elle est en activité, la Haica a émis une vingtaine d’avertissements et parfois d’interdictions de programmes. Mais Riadh Ferjani assure que l’objectif n’est ni la censure, ni la fermeture des médias, mais d’arriver à ce que « les professionnels observent eux-mêmes les règles déontologiques et les obligations légales ».
La tâche s’annonce très ardue, reconnaît-il, car en Tunisie « la chute de la dictature a propulsé des commentateurs sportifs ou des animateurs de variété comme éditorialistes politiques officiant en prime time ». Dans un contexte de violation généralisée des règles, il devient alors difficile de sévir sans laisser une impression de discrimination. Toutefois selon Riadh Ferjani, la meilleure réponse aux critiques est de poser les bonnes questions, à savoir les fondements de la régulation, le bien-fondé et les limites de la liberté d’expression.
Eu égard aux missions de la Haica, elle doit se pencher sur des chantiers prioritaires. D’abord, négocier dans les plus brefs délais avec le nouveau chef du gouvernement, Mehdi Jomâa, les critères de nomination des présidents directeurs généraux de l’audiovisuel public, afin de combler la vacance de pouvoir à la télévision et stopper la crise endémique de la radio publique. Ensuite, il faut rendre public les cahiers de charges des médias audiovisuels. L’objectif étant de mettre fin à l’inégalité dans le secteur où 5 diffuseurs ont été autorisés avant le 14 janvier 2011, 5 télévisions et 12 radios disposent d’une licence provisoire, contre une quinzaine de diffuseurs pirates. Enfin, la Haica entend mettre en place un monitoring systématique de tous contenus diffusés en Tunisie, comme le stipule le décret-loi 116.
Le temps presse, car le mandat de la Haica s’achève dès la fin du processus électoral. En réalité, elle prépare le terrain pour la future instance de régulation.
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