Un ancien administrateur d’Holcim s’offusque de ce rapprochement. Les actionnaires d’Holcim seront les grands perdants, fustige Max Amstutz dans une tribune
Le 7 avril, c’était annoncé comme la fusion du siècle dans les matériaux de construction. L’une de ces opérations – entre égaux – gagnantes pour les deux entreprises. Une transaction susceptible de dégager des synergies en millions de francs et de doper la rentabilité de deux groupes, quelque peu mise à mal ces dernières années dans un secteur souffrant de surcroît de surcapacités.
Or, après les applaudissements unanimes des investisseurs et des analystes, il semble que le tableau général du mariage entre le suisse Holcim et le français Lafarge ne soit pas aussi idyllique que présenté a priori. En quelque sorte, les deux leaders mondiaux du ciment veulent parvenir ensemble à ce qu’ils n’ont pas été capables d’atteindre seuls. Sans qu’on puisse préjuger bien sûr à ce stade du succès ou non de ce rapprochement, celui-ci soulève désormais de virulentes critiques. Notamment de la part de Max Amstutz. Délégué du conseil d’administration d’Holcim (anciennement Holderbank) de 1970 à 1994 et administrateur jusqu’en 1999, il s’en est ouvertement inquiété dans une lettre au vitriol publiée par la NZZ. Il rejoint ainsi James Breiding, auteur du best-seller Swiss Made – The Untold Story Behind Switzerland’s Success, qui a aussi fait part de ses doutes dans un texte fouillé publié en avril déjà dans nos colonnes.
Selon Max Amstutz, il ne s’agit aucunement d’une fusion entre égaux, la capitalisation boursière de Lafarge étant substantiellement inférieure à celle du groupe alémanique. Si l’aspect quantitatif est similaire (capacités de production, volumes produits, etc.), les divergences sautent aux yeux, selon lui, en ce qui concerne l’approche qualitative. La stratégie est de plus différente, tout comme la substance organisationnelle et financière. Résultat, les actionnaires d’Holcim sont lésés, d’après Max Amstutz. Ce dernier se réfère aussi à un article de The Economist stipulant que ce genre de transactions n’est que rarement couronné de succès. En substance, le magazine estime que toute discussion de fusion présentée comme «entre égaux» devrait être à elle seule un signal d’alarme.
L’ancien administrateur d’Holcim va plus loin. Il pense que tout oppose les deux entreprises et que la concorde affichée en public n’est qu’apparente. Un analyste de Bernstein & Co abonde d’ailleurs dans ce sens. Tout n’est que contrôle et ordre chez Lafarge, alors qu’Holcim s’est fait une spécialité du transfert de pouvoir aux régions. En d’autres termes, le clash est annoncé entre centralisation et délégation. Et de rappeler que l’industrie est un secteur éminemment local. De fait, les économies d’échelle recherchées ne peuvent que partiellement être réalisées.
Max Amstutz craint aussi une guerre des clans (et/ou des chefs) en raison de cultures d’entreprise divergentes, qui pourrait affecter la motivation des cadres. Elle serait déjà visible puisque la nouvelle entité va conserver deux sièges, un à Paris et l’autre à Zurich. Et de parler de doublons inévitables, contraires aux synergies recherchées ou annoncées. Comme le nouveau groupe doit également se séparer de nombreux sites pour ne pas froisser les autorités de la concurrence, l’effet réduction des coûts est également atténué, dénonce l’ancien administrateur. Ces désinvestissements étant forcés, Lafarge-Holcim n’en retirera pas un bon prix, anticipe le détracteur. Ce dernier met aussi en garde contre le profil de risque de Lafarge. Près de 30% des capacités du groupe français se situent dans des pays volatiles, comme l’Egypte, le Maroc, l’Algérie, l’Irak, la Jordanie, la Syrie, le Nigeria et l’Afrique du Sud. La part d’Holcim dans ces régions n’est que de 4%.
Apparemment, ce n’est pas la première fois que Max Amstutz dit tout le mal qu’il pense d’Holcim. Un membre du conseil d’administration du cimentier a ainsi affirmé à la SonntagsZeitung que l’ancien administrateur avait souvent adressé au groupe des lettres de désaccord ces dernières années. Que cela soit maintenant devenu public est «malheureux», mais ne changera rien à la fusion en cours, a-t-il ajouté. Max Amstutz ne renierait sans doute pas la conclusion de James Breiding: «La plupart des fusions échouent et les transfrontalières encore davantage», faisant clairement allusion au mariage Holcim-Lafarge.