Govind Singh est une figure de la microfinance en Inde. Après avoir travaillé pour la plus grande banque commerciale du pays, il a créé son propre programme – Utkarsh Micro Finance – en 2009. Son objectif: prêter à ceux qui n’ont pas accès au système financier traditionnel. Aujourd’hui, sa société dispose de 150 agences et de 850 collaborateurs répartis dans cinq Etats du nord de l’Inde. Et prête entre 10 et 200 dollars à quelque 300 000 personnes. Invité fin janvier par la société genevoise de microfinance Symbiotics, qui vient d’investir 5 millions de dollars dans son programme, Govind Singh était de passage au bout du lac.
Le Temps: A qui votre programme est-il destiné?
Govind Singh: Nous prêtons de l’argent à des femmes uniquement. Des groupes de 8 à 30 femmes généralement, qui viennent d’un même endroit et, surtout, qui se connaissent bien. Ce point est très important pour nous, puisqu’il représente la garantie que si l’une d’entre elles rencontre des problèmes, les autres membres du groupe lui viendront en aide. Par ailleurs, l’argent que nous leur prêtons doit uniquement leur servir de revenu pour leur activité professionnelle. Que ce soit dans le domaine agricole ou commercial. Nous n’octroyons jamais de crédit à la consommation.
A quel taux d’intérêt leur prêtez-vous?
Nos taux sont proches de 26%, soit ce qui se fait de plus bas dans le monde de la microfinance en Inde. D’une part, notre propre financement coûte relativement cher (15% en moyenne). D’autre part, notre coût opérationnel est lui aussi conséquent (entre 8 et 12%), car nous devons, par exemple, nous rendre dans des centaines de villages, parfois très reculés, pour aller à la rencontre de nos clientes. Ce n’est jamais elles qui viennent nous voir. Enfin, nous prêtons de très petites sommes d’argent (160 dollars en moyenne), si bien qu’au final, nos coûts se situent entre 24 et 25%.
Quel est le taux de défaut de paiement parmi vos clientes?
Depuis que nous avons commencé, en septembre 2009, nous n’en avons eu que 8 ou 9. Sur plus de 500 000 prêts effectués. Cela est possible du fait que nous sélectionnons nos clientes avec précaution, et que nous essayons de trouver des solutions ensemble, avec elles, lorsqu’il leur arrive de rencontrer des difficultés.
Pourquoi ne prêtez-vous qu’à des femmes?
Dans une société dirigée par des hommes, comme c’est le cas en Inde, les femmes ne sont pas suffisamment écoutées et font rarement partie de ceux qui prennent les décisions. En leur prêtant de l’argent, on arrive à faire évoluer les choses, comme on a déjà pu le constater depuis que nous avons commencé notre activité. De plus, je suis convaincu que d’un point de vue financier, il est plus sûr de prêter à des femmes. Elles sont bien plus sérieuses que les hommes et pensent davantage à leur famille, à leur avenir.
La microfinance a été secouée par plusieurs scandales, notamment liés à des suicides, ces dernières années en Inde. Comment le secteur se porte-t-il aujourd’hui?
Jusqu’en 2010, la microfinance n’était pas réglementée en Inde, ce qui a pu donner lieu à des abus. Notamment dans la province d’Andhra Pradesh, où est concentré un tiers des activités. Depuis, le gouvernement a introduit des restrictions. Quant à la banque centrale, elle a publié des directives en 2011: les commissions ne peuvent plus dépasser un certain seuil, un prêt dépassant 800 dollars n’est plus considéré comme de la microfinance, etc. Du coup, l’industrie s’est réduite de pratiquement 40% entre 2010 et 2011. Elle a été nettoyée et grandit à nouveau depuis quelques mois.
L’économie indienne est souvent associée à des problèmes de corruption. Comment rassurez-vous vos investisseurs?
Depuis que le secteur est régulé, il n’y a pratiquement plus de problèmes de corruption dans la microfinance. Les taux d’intérêt pratiqués ne peuvent plus dépasser un certain niveau. Mais surtout, le remboursement des prêts est extrêmement encadré: il doit se faire en présence d’un comité de surveillance, ailleurs que chez l’emprunteur et avant le coucher du soleil.
Qu’en est-il de l’inflation?
L’inflation est un problème pour ceux qui investissent en roupies. Les autres – qui investissent en dollars ou en euros – se couvrent généralement contre ce genre de risque. En revanche, l’inflation est davantage un problème pour nous en tant que société, car nos salaires et nos coûts opérationnels augmentent en conséquence.
Par Sebastien Dubas pour le journal suisse Le Temps.