(Agence Ecofin) - Ecosur Afrique est aujourd’hui l’un des leaders du crédit carbone en Afrique avec un objectif de 10 millions d’euros de CA pour l’année 2015. Un objectif qu’il envisage de tripler dans les trois années à venir. Fabrice le Saché, son PDG, a expliqué au magazine Energies Africaines son approche du marché carbone en Afrique et ce qu’il peut apporter aux promoteurs de projets d’énergies renouvelables.
Energies Africaines : Votre entreprise a pour objectif de tripler son CA d’ici les trois prochaines années. Comment comptez-vous y parvenir ?
Fabrice Le Saché : Tout d’abord, il faut rappeler que la croissance a été forte, ces dernières années, +46% en moyenne. Il s’agit de la maîtriser en structurant mieux nos activités de l’amont à l’aval. Depuis janvier 2015, nos activités se répartissent en trois pôles distincts : le conseil pour aider nos clients à obtenir et commercialiser des crédits de carbone, l’investissement pour développer des projets ou acquérir des participations dans des start-up vertes africaines, le négoce pour valoriser au mieux nos actifs environnementaux. Nous visons pour cette année 2015 un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros, avec une contribution de moitié du pôle négoce, d’un tiers pour le conseil, le reste provenant du produit de nos investissements. La progression que vous évoquez se fera par la consolidation de nos investissements, actuellement en phase d’amorce, la diversification des lignes de produits traités par notre filiale de négoce, et une croissance raisonnable de notre activité de conseil. Nous n’avons pas de recette magique pour y parvenir, mis à part travailler, traiter efficace- ment nos flux d’affaires, proposer des offres commerciales compétitives, et renforcer nos équipes. Nous ne ferons pas de course effrénée au chiffre d’affaires par des développements inconsidérés. Nous restons concentrés sur notre résultat net et notre stock de trésorerie. Nous resterons fortement exposés aux marchés du carbone car nous sommes convaincus de leur pertinence dans la lutte contre le changement climatique. La chute des cours ne fait pas disparaître la problématique du réchauffement planétaire, ni le besoin de certaines entités d’externaliser une partie de leur politique de réduction des émissions CO2. La demande pour des crédits de carbone de qualité demeurera, et le nombre d’acteurs pouvant offrir ce type de services diminuant, nous accélérons notre déploiement pour saisir une opportunité de croissance à rebours du marché.
EA : Vous êtes présents sur le marché africain de crédit carbone depuis 2009. Quelle a été l’évolution de ce marché en Afrique ces dernières années et quel est le potentiel du continent en matière de crédit carbone ?
FLS : Il est difficile de décrire une réalité d’un marché africain tant les dynamiques régionales voire nationales sont disparates. Après des années de sensibilisation sur la période 2005-2010, nous constatons une meilleure maîtrise des mécanismes d’échange de crédits de carbone : des autorités nationales hautement qualifiées dédiées sont en fonction, les cadres réglementaires et fiscaux ont été clarifiés, les acteurs publics et privés sont sensibilisés au mécanisme. L’Afrique du Sud, le Kenya, le Maroc, l’Ouganda se sont particulièrement illustrés. La Côte d’Ivoire, le Sénégal ou le Cameroun ont quelques entreprises leaders qui ont été pionnières et qui continuent de dynamiser le marché. L’Afrique francophone est, d’une façon générale, la région avec le plus faible nombre de projets à ce jour, mais de nouveaux acteurs entrants tendent à modifier cette tendance, notamment au Burkina Faso, au Mali, au Tchad et en RDC. Si l’on doit dresser un constat à l’échelle du continent, c’est donc celui d’une croissance soutenue qui se reflète dans le développement de notre groupe ces dernières années. Et le potentiel du marché africain est encore sous-évalué. Avec un peu moins de 3% du volume émis de crédits de carbone à l’échelle mondiale, l’Afrique est un réservoir de crédits de carbone presque inutilisé. Il existe pourtant un gisement de projets à forte valeur ajoutée environnementale et sociale qui pourrait générer de nombreuses réductions d’émissions de gaz à effet de serre. Les opportunités sont là : dissémination de technologies dites de base pyramide qui bénéficient aux populations, fours de cuisson efficaces à charbon de bois, kits solaires photovoltaïques, lampes basse consommation, évitement de la déforestation et replantations, énergies renouvelables, efficacité énergétique, traitement des déchets... la liste est longue. Nous pensons qu’il est possible de générer 500 millions de crédits de carbone africains d’ici 2020, soit autant d’émissions de tonnes de CO2évitées dans l’atmosphère.
EA : En quoi le crédit carbone peut-il aider l’Afrique à faire face aux défis environnementaux auxquels elle est confrontée ?
FLS : Les crédits de carbone constituent des revenus complémentaires en phase d’exploitation des projets. Il s’agit d’une aide financière octroyée en contrepartie de la performance environnementale des projets. Les entreprises qui réduisent leurs émissions de CO2sont ainsi récompensées et stimulées dans l’innovation. Grâce au MDP (Mécanisme de développement propre, ndlr), des technologies vertes peuvent être déployées de façon beaucoup plus massive sur l’ensemble du continent. A l’image de ce qu’ont réussi les Chinois, Indiens et Brésiliens, l’Afrique peut saisir cette opportunité économique pour accélérer le transfert de technologies durables et innovantes sur son sol. Cela facilitera d’autant l’adaptation du continent africain à un monde structurellement contraint en ressources.
EA : Quelles opportunités économiques offre le mécanisme du crédit carbone aux entreprises qui y ont recours ?
FLS : Des revenus complémentaires ! Nous avons effectué plus de 261 millions d’euros de transactions pour près de 30 millions de crédits de carbone commercialisés. A titre d’exemples récents, nous avons réussi à générer 1 million d’euros de revenus carbone pour une entreprise d’Afrique de l’Est au titre des trois premières années d’exploitation d’un barrage hydroélectrique de petite échelle, somme loin d’être anecdotique pour cet exploitant qui subit de nombreux arriérés de paiement du réseau. En Afrique australe, nous avons sécurisé plus de 1,4 million d’euros de revenus carbone sur sept ans pour un producteur d’énergie éolienne, ce qui a contribué à faciliter l’octroi d’un financement. D’une façon générale, notre métier consiste à valoriser au mieux les réductions d’émissions CO2qui sont réalisées par nos clients africains auprès de sociétés de négoce, de banques, d’industriels ou de fonds souverains. Je pense à Vitol, Bunge, Cargill, Standard Bank, EDF Trading, Shell Trading entre autres. Les crédits de carbone fonctionnent comme tout marché de matière première comportant des flux physiques. Notre spécialité est de structurer des transactions adaptées aux contraintes de chaque projet : transactions à terme ou au comptant, de gré à gré ou sur les places de marché, avec des prix fixes ou flottants, des achats garantis ou des options. Nous disposons aujourd’hui du premier portefeuille de crédits de carbone d’Afrique, tant par son volume que par sa diversité. La liquidité et la maturité de notre portefeuille nous permettent d’élaborer et d’exécuter des stratégies de marché créatrices de valeur pour l’ensemble de nos clients.
EA : Les entreprises africaines ont-elles conscience de ces opportunités ?
FLS : Oui, et le mouvement de ces trois dernières années l’atteste. Nous avons eu la chance de pouvoir accompagner des leaders agro-industriels africains dans leurs démarches, je pense au groupe SIFCA, à la Compagnie Sucrière Sénégalaise ou à Géocoton, mais aussi à de grands énergéticiens, cimentiers, collecteurs de déchets ou sociétés de services développant des modèles innovants en matière d’efficacité énergétique sur le continent. Bien évidemment, rien n’est acquis, et il faut continuellement faire œuvre de pédagogie pour expliciter la procédure et ses avantages. Le marché n’en est qu’à ses balbutiements et nous devons en renforcer la dynamique, alors même qu’une chute des cours sans précédent complexifie les transactions.
EA : Jusqu’à quand pensez-vous que cette chute des cours du crédit carbone durera et comment affecte-t-elle les entreprises africaines impliquées dans le crédit carbone ?
FLS : Je n’ai malheureusement, ou heureusement, pas le pouvoir de lire l’avenir, et les analyses sur ces marchés ont fréquemment démontré un caractère inopérant en raison de la nature même du marché qui dépend, pour une large part, de la réglementation. Les causes du décrochage sont quant à elles bien connues : un déséquilibre structurel entre l’offre et la demande ; le volume de crédits de carbone émis par la Chine, l’Inde et le Brésil ont inondé le marché, conduisant un excédent massif qui ne peut être absorbé en l’état. S’agissant de la demande, celle-ci demeure atone, l’Union européenne, premier acquéreur de crédits de carbone, connaissant une croissance défaillante. Pour qu’une économie bas carbone de grande échelle voie le jour à l’échelle du continent africain, il faut donc un prix de marché attractif, valorisant les réductions d’émissions de gaz à effet de serre à un niveau suffisamment élevé pour inciter les promoteurs à enclencher des projets. La situation actuelle affecte des centaines de projets africains qui sont ainsi bloqués, ou moins facilement réalisables dans les circonstances actuelles.
EA : Comment cette situation peut-elle s’améliorer ? Quel sera le rôle de l’Afrique dans cette amélioration ?
FLS : Nous devons apprendre à travailler dans un contexte de cours dégradé. Des solutions de valorisation existent et nous nous employons à les activer avec force. De nombreux appels à projets d’agences de coopération, d’Etats ou d’institutions internationales soutiennent les projets africains en procédant à des achats de crédits de carbone de plusieurs euros par tonne. Cette dé-corrélation du prix de marché s’explique par une vision et une approche du développement. Les marchés volontaires qui regroupent des entreprises réalisant volontairement une compensation de leurs émissions CO2offrent une autre alternative. Nous développons, à ce titre, les transactions intra-africaines en partenariat avec de grandes banques et fonds d’investissement du continent pour accroître la liquidité de ce segment de marché. Cela se traduit par la création de produits de compensation CO2spécifiques pour les chaînes hôtelières, les loueurs de voitures, les compagnies aériennes, entre autres. Enfin, le Sommet sur le climat (COP 21) prévu à Paris en décembre 2015 devrait permettre d’édicter des me- sures de soutien pour pérenniser le Mécanisme de développement propre (MDP). Nous plaidons, dans ce cadre, pour un rachat automatique des crédits de carbone africains. D’autres évolutions sont à suivre avec attention au sein des pays émergents – la Chine notamment –, un nombre croissant d’entre eux ayant d’ores et déjà adopté des législations CO2avec mécanismes de marché associés, renforçant ainsi une potentielle demande de crédits de carbone future.
EA : Vous plaidez pour la fixation d’un prix minimum garanti pour le crédit carbone africain. Comment cela devrait-il marcher et quelles sont vos chances d’obtenir gain de cause ?
FLS : De façon très simple. Chaque crédit de carbone octroyé par l’Onu en contrepartie d’une tonne d’émission CO2évitée ouvre droit à un paiement de 5 EUR/tonne. Il serait ouvert à tout porteur de projet qui enregistre et fait vérifier son activité dans le cadre du MDP. L’infrastructure actuelle du MDP peut être entièrement utilisée. Aucun besoin de créer un nouveau fonds ou une nouvelle entité. Le système que nous préconisons présente également l’avantage d’être fondé sur les résultats : seuls les crédits de carbone délivrés sont rémunérés. Pas besoin d’effectuer une analyse a priori des projets, ce qui évite des procédures lourdes et des ressources consacrées en diligence. Les investisseurs privés prennent leurs risques de projets seuls, le signal et la visibilité du prix du carbone leur permettant de lever les financements pour enclencher les projets. Dans le cadre de la COP 21, nous souhaiterions que les Etats s’accordent sur une ligne budgétaire de 2,5 milliards d’euros qui pourrait être allouée à la CCNUCC (Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, ndlr) afin de procéder à des acquisitions automatiques de crédits de carbone africains émis. Il serait pertinent d’élargir ce mécanisme aux Pays insulaires vulnérables et aux Pays les moins avancés (PMA) non africains. Le financement pourrait provenir des engagements réalisés dans le cadre du Fonds vert climatique, catalyseur des financements internationaux en matière de changement climatique.
EA : Vous êtes également une compagnie d’investissement qui a des participations dans des entreprises intervenant dans les énergies renouvelables en Afrique. Quels rendements attendez-vous de ces opérations ? Qu’apportez-vous de différent aux entreprises que vous financez ?
FLS : Les entreprises dans lesquelles nous investissons ont des produits ou services qui réduisent les émissions CO2, et qui sont donc éligibles au système des crédits de carbone. Notre principal critère d’investissement est ainsi la possibilité de produire des crédits de carbone. Notre volonté est de créer un portefeuille propriétaire, complémentaire de celui de nos clients. Les rendements attendus sont donc fortement liés aux revenus carbone. Nos investissements, hors crédits de carbone, sont proches de l’équilibre, à ce jour 4 millions d’eu- ros déployés sur cinq entreprises.
EA : Sur quels critères choisissez-vous vos projets partenaires ?
FLS : Nous sommes plus développeurs de nos propres projets que partenaires. Nous investissons dans un projet depuis le stade initial, réalisons l’ensemble du développement jusqu’à l’exploitation dont nous assumons la charge. Notre usine de fours de cuisson efficaces en RDC en est un parfait exemple. Nous créons une nouvelle marque congolaise Jiko Mamu et construisons le plus grand site de production de fours efficaces d’Afrique centrale. Nous avons acquis un terrain de 2700 m2, érigé les hangars, acquis les équipements, recruté 30 ouvriers et collaborateurs ; nous assurons la gestion opérationnelle quotidienne, ainsi que le développement commercial. Généralement, les projets que nous choisissons nécessitent un ticket d’investissement moyen compris entre 100 000 et 1 million d’euros dans les secteurs de l’efficacité énergétique ou des énergies propres.
EA : Quels ont été vos plus grands succès à ce jour ?
FLS : Notre plus grand succès est de démontrer que l’entreprise privée peut être un outil puissant dans la lutte contre le réchauffement planétaire. Lorsque le profit est réalisé à l’aune de la performance environnementale, il est possible de dépasser les contradictions supposées de l’intérêt particulier et de l’intérêt général. Grâce à notre expertise, ce sont plus de 40 projets dans 17 pays qui ont bénéficié de la finance carbone, ce sont autant d’emplois créés, de réductions d’émissions CO2évitées et de nouvelles technologies vertes déployées sur le continent africain. Nul ne songe à confier au seul marché le soin de répondre au défi climatique, mais il serait peu judicieux de se priver de l’efficacité d’un tel outil.
Propos recueillis par Gwladys Johnson pour le magazine Energies Africaines No 3