(Agence Ecofin) - Mercredi, à Alger, les producteurs de pétrole de la zone OPEP sont, contre toute attente, parvenus à un accord sur le gel de la production. Une nouvelle qui relance le débat sur l’avenir des économies des principaux producteurs africains. Entretien avec l’expert français des questions énergétiques Francis Perrin (photo).
Agence Ecofin : Avec l’accord surprise qui a été obtenu à Alger, quelles sont les perspectives pour le marché pétrolier ?
Francis Perrin : Il y a bien eu une surprise mais pas tout à fait un accord. En fait, nous avons les principes d'un accord qui devra être adopté par la prochaine réunion de la Conférence de l'OPEP qui se réunira le 30 novembre à Vienne. L'objectif est de réduire la production de pétrole brut de l'OPEP pour qu'elle ne dépasse pas 32,5 à 33 millions de barils par jour. Mais il faut à présent fixer pour chaque pays membre son niveau de production maximal, ce qui ne sera pas aisé.
Cela dit, cette annonce d'une réduction future de la production a été une vraie surprise. Il n'était pas du tout évident que la réunion d'Alger déboucherait sur un résultat positif. De plus, dans la période récente, il était question d'un gel et non pas d'une réduction de la production. Enfin, les positions iranienne et saoudienne se sont rapprochées, ce qui a permis de débloquer la situation. Ce qui s'est passé à Alger est donc à tous ces égards très important.
AE : Quelles seront les conséquences de cet accord sur l’économie mondiale, lorsqu’on sait que la chute des prix du pétrole a entraîné celle des prix de beaucoup d’autres matières premières ?
L'objectif de l'OPEP est d'accélérer le rééquilibrage du marché pétrolier mondial en vue de faire remonter les prix. Il faut cependant encore conclure un accord, tenter d'impliquer des pays non-OPEP, dont la Russie, et appliquer sérieusement le futur accord. Cela fait plusieurs conditions.
Si ce scénario se concrétisait, l'OPEP pourrait contribuer à une remontée des prix du brut à la fin 2016 et au début 2017. Si les cours progressaient vers $60 le baril, ce serait une bouffée d'air frais pour les producteurs. À l'inverse, cela représenterait une hausse de la facture pétrolière et énergétique pour les pays importateurs, pour les entreprises dans des secteurs gros consommateurs d'énergie et pour les consommateurs de produits pétroliers, notamment les carburants. Il y aurait donc un vrai impact sur l'économie mondiale avec un léger ralentissement de la croissance. Mais il ne faut pas non plus s'attendre à ce que les prix grimpent dans la stratosphère. Les conséquences seront limitées.
AE : Quelles seront les conséquences de cet accord sur les pays africains producteurs d’or noir ?
Pour l'essentiel, les mêmes que pour tous les pays producteurs et exportateurs de pétrole. Sous réserve des conditions évoquées ci-dessus, le futur accord pourrait entraîner une augmentation de leurs recettes d'exportation et de leurs recettes budgétaires et un plus en termes de croissance économique. Mais ce ne sera pas l'eldorado. Il ne faudrait pas tomber dans l'illusion selon laquelle une éventuelle hausse des prix de l'or noir permettrait de résoudre comme par enchantement des problèmes économiques, sociaux et politiques. Les difficultés de la Libye ou du Nigeria, par exemple, sont en grande partie d'origine interne et il faut en traiter les causes. Cela dit, une hausse des prix sera la bienvenue pour tous ces pays.
AE : Les économies de pays comme le Nigéria et l’Angola pourront-elles se relancer ? Si oui, comment et à quel rythme ?
Une hausse des prix du brut découlant d'un futur accord au sein de l'OPEP serait un facteur favorable à la relance des économies de ces deux pays. Il faudra voir cependant ce que seront leurs niveaux de production après la fin novembre. Le Nigeria pourrait être plus épargné par l'OPEP que l'Angola. Beaucoup de choses dépendront aussi de l'ampleur de la hausse des prix du pétrole à l'avenir, ce que personne ne peut évaluer précisément aujourd'hui, et de la façon dont les recettes supplémentaires seront utilisées. Il ne suffit pas d'avoir plus de revenus pétroliers, il faut surtout bien les gérer.
AE : Quelles sont les chances que l’accord soit pérenne ?
C'est l'une des grandes questions. Signer un accord à la fin novembre serait une avancée importante pour l'OPEP mais encore faudrait-il l'appliquer complètement. Les États ne respectent pas toujours ce qu'ils signent, que ce soit dans le domaine du pétrole ou sur d'autres sujets, et l'OPEP n'a pas toujours été irréprochable dans le passé à cet égard. L'évolution future des prix dépendra d'ailleurs aussi de la façon dont les marchés apprécieront la crédibilité de l'organisation en matière de respect de ses engagements. On peut cependant ajouter qu'après deux ans de baisse des prix, qui ont fait très mal, l'organisation est plus consciente que par le passé de la nécessité de serrer les rangs pour sortir de l'ornière. Un autre élément favorable est que les pays producteurs sont moins optimistes que récemment sur le rééquilibrage du marché dans un délai assez court. Ils ont compris qu'il est important de passer à l'action et de ne pas seulement attendre que le jeu des forces du marché fasse son œuvre.
AE : Il y a quelques mois, l’Inde est devenue un terrain de bataille pour l’approvisionnement du pétrole entre l’Iran et le Nigéria. Vu que le Nigéria est exempté de gel, il pourra aisément déployer toute son énergie pour s’accaparer ce marché. Ce conflit d’intérêt pourra t-il remettre en question la durabilité de l’accord ?
Il convient d'attendre la fin novembre pour voir vraiment ce que le Nigeria sera autorisé à produire. De plus, l'Iran devrait aussi bénéficier d'un régime de faveur de la part de l'OPEP. Mais, surtout, le plus important pour le Nigeria est de pouvoir régler des problèmes politiques et de sécurité dans le delta du Niger qui ont de façon répétée un impact négatif sur sa production et sur ses exportations pétrolières. Ces problèmes doivent être traités au Nigeria et pas autour d'une table de conférence à l'OPEP. Ce n'est pas parce que l'OPEP autoriserait le Nigeria à produire plus que ce pays serait en capacité de le faire. Techniquement oui, politiquement pas forcément.
AE : Après la levée des sanctions, l’Iran a mis en marche un vaste programme de développement de sa clientèle. Quelles seront les incidences du gel sur ce projet de Téhéran ?
L'Iran n'a pas du tout l'intention de laisser l'OPEP l'empêcher de développer ses capacités de production et de retrouver ses anciennes parts de marché. Le pays produit actuellement 3,6-3,7 millions de barils de brut par jour et il voudrait atteindre 4 Mb/j à court terme. Il se dit prêt à discuter lorsqu'il aura atteint ce niveau. Nous verrons. Mais ce qui est sûr, c'est que Téhéran a des objectifs de croissance à moyen et à long terme très ambitieux pour le pétrole comme pour le gaz naturel et que les dirigeants iraniens comptent aller de l'avant même si une courte pause est envisageable dans quelque temps. Mais pause éventuelle ne veut pas dire arrêt. Le rouleau compresseur est en marche.
Propos recueillis par Olivier de Souza