(Agence Ecofin) - Jusqu’où iront-ils dans le bras de fer? Alors que la banque centrale nigériane a désormais restreint l’accès aux devises pour les importateurs de certains produits, ces derniers crient au scandale et essaient de forcer les autorités à revenir sur leur décision. La première économie d’Afrique a en effet décidé d’interrompre l’octroi de devise à l’importation de 41 catégories de produits, afin de stabiliser ses réserves de devises dans un contexte marqué par la chute des cours du pétrole.
Concrètement, se plaint l’association des manufacturiers du Nigéria (MAN), l’interdiction concerne quelques 680 items allant de la tomate à l’huile de palme, dont le pays importe quelques 600 000 tonnes pour fabriquer du savon ou des détergents entre autres. Le MAN a exprimé son désir de voir cette liste réduite à 575 éléments. Fin de non-recevoir de la part de la banque centrale, qui a cependant affirmé qu’elle pourrait éventuellement réviser sa position par rapport à 44 éléments.
Pendant ce temps, les compagnies, elles, souffrent du manque de disponibilité des devises extérieures, du dollar notamment, ainsi que l’explique à Reuters ce dirigeant d’une grande compagnie de distribution de fournitures qui a requis l’anonymat. «Il faut au minimum 10 jours maintenant pour avoir des dollars contre 24 ou 48 auparavant, et il arrive que l’on ne reçoive que 80 000 $ quand l’on en demande 100 000. Et ça ne fait qu’empirer.» dit-il.
Si du côté de la banque centrale, l’on dit être au courant des difficultés inhérentes à cette thérapie, on l’estime cependant nécessaire et pas si difficile à supporter, finalement. Donnant l’exemple d’une compagnie produisant du concentré de tomates, Godwin Emefiele (photo), gouverneur de la banque centrale du Nigéria, déclare : «Peu de temps après que nous avions annoncé l’embargo sur les devises étrangères pour l’importation de concentré de tomates, j’ai lu qu’il avaient passé des annonces pour près de 1000 emplois.».
Un exemple particulièrement judicieux quand on sait que le pays injecte 150 millions de dollars annuellement dans ses importations de produits dérivés de la pomme d’amour. Victoire ? Pas si sûr, cependant, dans un pays qui, s’il dispose d’un énorme potentiel de production en matière de tomates, voit cet avantage miné par l’état déplorable de son infrastructure routière et par la tuta absoluta, une épidémie qui décime actuellement les pépinières nigérianes. Mais ces difficultés n’empêchent pas certains de miser sur l’agro-industrie dans un tel contexte. C’est le cas du tycoon Aliko Dangote qui a lancé il y a quelques mois, la plus grande usine de fabrication de concentré de tomates d’Afrique à Kano. Selon le milliardaire, l’approvisionnement de cette infrastructure se fera grâce à la matière première locale.
Ces initiatives ne parviennent pas cependant à convaincre Razia Khan, Economiste en chef sur l’Afrique à la Standard Chartered Bank : «Le Nigéria a déjà une expérience assez grande de ce genre de politique de substitution des importations, et elles ont rarement abouti à la création d’un secteur industriel dynamique et compétitif et capable de créer le niveau de croissance de l’emploi nécessaire à un pays de la taille du Nigéria». Un énième feu de paille donc? Peut-être. Ou pas. Pour Kabir Chaskewa de l’Ajima Farms, une entreprise familiale basée près d’Abuja, c’est un grand défi que de concurrencer les poissons et la volaille importés car la marge de profit que l’on tire de cet exercice est faible. Cependant, l’augmentation de la demande pour la volaille locale et le riz produit au Nigéria constitue une chance pour des compagnies comme la sienne. Une opportunité qu’ils entendent saisir à deux mains pendant qu’elle existe encore.
Aaron Akinocho
Lomé, Togo - Organisé par la BIDC.