En Afrique, le volume annuel des gaz torchés est estimé à 40 milliards de mètres cubes, ce qui équivaut à la moitié de la consommation d’énergie du continent.
Par Thierry Téné
Lors d’une récente discussion avec un expert français du pétrole, notre interlocuteur évoque l’aberration du torchage du gaz en Afrique. Il indique également qu’au cours d’un survol, il suffit de suivre les flammes dégagées par le torchage des gaz pour se repérer dans le bassin du Congo. Dans une région qui manque cruellement d’énergie, il est difficile en effet de comprendre ce phénomène. Une autre conséquence des gaz torchés est la contribution au changement climatique, même si l’Afrique représente à peine 3,8% des émissions mondiales de CO2. La récupération de ce gaz permettrait justement de lever des fonds sur le marché du carbone. Selon la Banque mondiale, le processus d’extraction du pétrole brut fait également remonter à la surface ce qu’on appelle des gaz associés. Ces gaz peuvent être utilisés sur place pour alimenter des générateurs, ou transportés par gazoduc pour être revendus ailleurs, ou encore réinjectés dans le sol. Mais dans les régions du monde dépourvues d’infrastructures et de marchés gaziers, comme c’est le cas en Afrique, ces gaz associés sont en général relâchés dans l’atmosphère sous forme de gaz brûlés (ou torchés) ou non brûlés (on parle alors de gaz rejetés).
Les données publiées par la banque en 2006 indiquent un rejet annuel de plus de 150 milliards de mètres cubes de gaz naturel brûlés à la torche et rejetés dans l’atmosphère, soit l’équivalent de 25% de la consommation de gaz des États-Unis, et 30% de celle de l’Union européenne. En Afrique, le volume annuel des gaz torchés est estimé à 40 milliards de mètres cubes, ce qui équivaut à la moitié de la consommation d’énergie du continent.
Les techniques de récupération des gaz torchés
Selon Yannaël Billard et Pauline Plisson-Gentner, de nouvelles techniques permettent désormais d’éviter le torchage continu sur les nouveaux sites, et de l’éliminer ou de le réduire sur les anciennes installations. Des améliorations peuvent être obtenues par simple optimisation des paramètres opératoires, ou par l'ajout de petits équipements, d’autres nécessitent des études et des investissements plus conséquents. Ils évoquent les techniques suivantes :
- Le gaz peut être réinjecté dans le sous-sol, grâce à l’emploi de compresseurs et de forages supplémentaires. Cela laisse la possibilité d’extraire à nouveau ce gaz plus tard, si les infrastructures et les conditions économiques permettent alors son utilisation.
- La basse pression de certains gaz peut poser problème pour leur utilisation, l’investissement dans un compresseur, ou un équipement moins coûteux tel qu’un éjecteur, peut permettre de les valoriser.
- Des plateformes voisines peuvent être reliées et le gaz en excès sur l’une peut servir sur une autre plateforme en déficit de gaz pour ses besoins énergétiques.
Un partenariat mondial pour la réduction des gaz torchés (GGFR)
Sous la forme d’un partenariat public-privé, le GGFR vise à réunir toutes les parties prenantes pour lever les freins à la réduction du torchage par un échange d’expériences ainsi que la mise en place de programmes dans les pays membres. Sa création date de 2002 lors du Sommet mondial sur le développement durable. Plusieurs pays, dont l’Algérie, le Cameroun, la Guinée équatoriale, le Kazakhstan, le Nigeria et le Qatar, ont bénéficié de l’aide du GGFR pour l’élimination du torchage de gaz grâce à un effort accru de collaborations entre leurs opérateurs, leurs compagnies pétrolières nationales et leurs organes de réglementation. Le GGFR ambitionne une réduction de 115 millions de tonnes de CO2 à l’horizon 2012. Là aussi le Mécanisme de développement propre et les autres instruments de la finance carbone devraient permettre un amortissement des investissements.
Le gaz naturel liquéfié, une solution au manque d’infrastructures en Afrique ?
Pour pallier le manque de réseau gaz en Afrique, il est possible d’explorer d’autres filières de valorisation du gaz pour contourner ces infrastructures très coûteuses. Mais ce champ des possibles est assez vaste, avec des avantages et des inconvénients spécifiques pour chaque filière.
Le GNL (gaz naturel liquéfié), produit classiquement depuis des années dans des installations à terre, permet la liquéfaction du gaz (à très basse température), et donc son transport par bateau. Le GNL est désormais développé également en mer, ce qui peut permettre de s’affranchir de l’étape de transfert à terre du gaz pour les champs offshore. Toutefois, jusqu’à présent, la construction d’usines GNL supposait la disposition de très grandes quantités de gaz, bien souvent supérieures aux quantités de gaz associé qui pourraient être torchées.
Le gaz peut également être transformé en d’autres produits eux-mêmes commercialisables : le carburant GTL (Gas to Liquid), le méthanol, les oléfines, le DME (dimethylether), l’ammoniac. D’une manière générale, la conversion du gaz en ces différents produits est coûteuse, mais ne nécessite pas l’existence d’une infrastructure de réseau gaz. Ces conversions peuvent en outre être envisagées pour des débits faibles de gaz. Une étude au cas par cas est nécessaire pour déterminer la viabilité de ces différentes conversions.
Enfin, on peut envisager une conversion du gaz en électricité.
Trois types de torchage
D’après Yannaël Billard et Pauline Plisson-Gentner, respectivement directeur des opérations et consultante chez ENEA Consulting, il existe plusieurs sources de torchage.
Le torchage continu
L’extraction de pétrole est toujours accompagnée d’une remontée de gaz. Ce gaz se forme dans les conduites de remontée du pétrole ainsi que dans les installations de traitement (par exemple les plateformes pétrolières) qui permettent de retirer les impuretés du pétrole. Ce gaz est généralement utilisé par les compagnies pétrolières pour produire l’énergie nécessaire au fonctionnement de la plateforme de traitement. Le gaz résiduel peut poser des difficultés pour son utilisation. Selon les caractéristiques du gisement, il peut arriver que ce gaz soit de mauvaise qualité, nécessitant des traitements chimiques coûteux pour le rendre utilisable, ou qu’il soit produit en trop faible quantité pour que sa vente soit économiquement intéressante. Les experts d’ENEA Consulting précisent également que les plateformes de traitement sont souvent situées dans des zones isolées (en mer, loin des côtes, ou à terre, dans des zones désertiques…) et éloignées des réseaux de gaz naturel. La construction d’un pipeline pour acheminer le gaz sur de longues distances jusqu’à un lieu de consommation est dans certains cas techniquement et économiquement impossible. Dans ce cas de figure, il arrive que le gaz résiduel soit éliminé en étant brûlé, à défaut d’une voie de valorisation. C’est ce que l’on appelle le torchage continu.
Le torchage opérationnel
Par ailleurs, en cas de problème technique sur une installation pétrolière, il est nécessaire, pour des raisons de sécurité, de vider et brûler le gaz présent dans les équipements. Il s’agit du torchage opérationnel, il se produit de façon intermittente et le volume brûlé correspond au volume de gaz présent dans l’installation au moment de l’événement.
Le torchage de démarrage
Enfin, le torchage est employé de façon continue mais temporaire lors du démarrage d’une nouvelle installation, il s’agit du torchage de démarrage.