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«Au Cameroun, chaque ministre, chaque directeur général, a ses journalistes et sa presse»

Nta à Bitang, le journaliste qui vient de soutenir une thèse de doctorat, se confie à Assongmo Necdem sur les pratiques journalistiques.

 

Agence Ecofin : Qu’est-ce qui fait problème avec l’activité des journalistes au Cameroun pour que vous ayez consacré une thèse de doctorat sur le sujet ?

Nta à Bitang : Au Cameroun quand on parle de journaliste, on ne sait pas toujours à quelle catégorie d’individus on s’adresse. Ça veut dire que la question de savoir qui est journaliste reste un gros problème. Pourtant, les journalistes, on en voit partout qui s’autoproclament, qui ont des diplômes, qui sortent des écoles de journalisme et qui écument les salles de rédaction.

 

AE : Qui est donc journaliste au terme de votre travail de recherche ?

NàB : Si je veux faire du cynisme, je vous renverrai à la loi. Est considéré comme journaliste toute personne qui, sur la base de ses facultés intellectuelles et de son talent, est apte à traiter l’information, dans le cadre de la communication sociale, et en tirer l’essentiel de ses revenus. Si vous appliquez cette définition, alors tout le monde devient journaliste. Voilà le problème. Comment fait-on pour vérifier les facultés intellectuelles ? Comment mesure-t-on le talent ? Comment vérifie-t-on que les gens tirent l’essentiel de leurs revenus de cette activité ? Comment vérifie-t-on qu’ils se rendent chaque jour dans la rédaction ? Tous ces éléments ne sont ni quantifiables, ni mesurables.

Au-delà de la loi, l’Etat a également décliné ce qu’il attendait du journaliste. Quand j’entrais à l’école de journalisme, il y avait ce message inscrit au hall du grand bâtiment : « former des journalistes agents de développement ». Jusqu’à preuve du contraire, un journaliste n’a pas pour travail d’être un agent de développement. On a aussi tenté de construire la définition du journaliste par le bas, par la profession elle-même. L’Union des journalistes du Cameroun (Ujc) a mis en place une espèce de tribunal d’honneur qui, en cas de problème, devrait dire qui est journaliste et qui ne l’est pas. Mais le Conseil camerounais des médias a fait long feu. Même les tentatives par le bas n’ont pas prospéré. Il y a toujours cette difficulté à coller une identité au journaliste.

Au Cameroun, il y a une élite des journalistes qui est généralement composée des journalistes formés dans une école, qui, pour la plupart, travaillent dans les médias publics, et quelques-uns dans les médias privés. Ces médias sont réguliers et ont pignon sur rue. Cette élite a le souci du respect de la déontologie et tient compte des exigences professionnelles. Il y a une base du journalisme composée de gens pas souvent formés, ni sur le tas, ni dans une école. Ils ont décidé d’être des journalistes et sont parfois reconnus comme tels dans le public ou légitimés. Mais ils ne respectent aucune règle professionnelle. On leur reproche toute sorte de dérives. Entre l’élite et la base, il n’y a pas de lien. Il existe une catégorie intermédiaire constituée de personnes qui, soit sont formées dans une école mais se retrouvent dans des médias précaires, avec une mauvaise rémunération, soit sont formées sur le tas et essaient de faire un effort pour respecter la déontologie et les règles professionnelles.

 

AE : Pourquoi parlez-vous des identités du journaliste et non d’une identité du journaliste au Cameroun ?

NàB : C’est très difficile de cerner l’identité du journaliste au Cameroun. De manière générale elle change en permanence. Tous ceux qui se recrutent dans la profession ne sont pas des journalistes, à proprement parler. L’observation montre qu’il y a des gens qui ne travaillent dans aucun média, des médias qui n’ont pas de rédaction. C’est insolite, mais c’est courant au Cameroun.

 

AE : Tous les journalistes ne feraient donc pas le même travail ?

Il y en a qui s’occupent à collecter et à traiter l’information. Ils sont visibles dans les médias. D’autres semblent s’occuper à cela, mais on ne voit jamais leur production dans les médias. Il y en a encore qui font semblant de s’occuper du journalisme, mais s’occupent en réalité d’autres choses. Ils écument les cérémonies, les cocktails et autres, font du chantage, de l’arnaque et toutes sortes de choses qui n’ont rien à voir avec le journalisme. Beaucoup sont des agents des renseignements. Au Cameroun, entre le système de renseignements et le journalisme, il y a eu pas mal d’échanges ; c’est-à-dire on a vu des gens qui ont travaillé comme journaliste, officiellement, puis qui se sont retrouvés dans les services des renseignements. La profession a également reçu des gens qui ont travaillé dans le renseignement et qui se sont retrouvés journalistes.

 

AE : Au fond, pourquoi les gens deviennent-ils journaliste ?

NàB : Les réponses sont multiples. Il y a en qui sont entrés parce qu’ils n’avaient rien à faire. D’autres disent qu’ils sont là pour avoir de la visibilité ou pour être connus. Il y en a aussi pour qui c’est un moyen de se faire de l’argent. Les plus sérieux disent qu’ils y sont rentrés par vocation, d’autres par hasard, par admiration d’un modèle ou de quelque chose.

 

AE : Quel est le rôle du public dans la consécration du journaliste ?

NàB : Il y a des journalistes dont on n’a même jamais vu d’articles, personne ne connaît le média où il travaille. Il y en a qui n’existent que dans les débats sur les plateaux de télévision. Ce sont les journalistes de la télé avec cette nouvelle forme d’émission appelée talk-show. On réunit des gens et le synthé indique chaque fois qu’ils sont journalistes sans jamais indiquer l’organe de presse. Dès lors que vous passez à la télévision deux fois ainsi, vous devenez journaliste et personne ne peut vous l’enlever. Tout le monde vous le concède dans la rue. On a vu la tournure prise par le décès de Bibi Ngota qui était directeur d’une publication, mais curieusement écrivait dans un autre journal. Il s’est retrouvé dans une affaire où il n’était pas en train de pratiquer le journalisme. Quand il est interpelé et incarcéré pour faux et usage de faux, trafic de faux documents, le public et les médias ont décidé de le consacrer comme le modèle du journaliste. Il est devenu un héros médiatique au point où on a même créé un prix Bibi Ngota qui a une dimension internationale.

 

AE : Toute cette complexité à saisir l’identité du journaliste au Cameroun pose-t-elle problème ?

NàB : Cela pose énormément de problèmes à la profession qui n’arrive pas à s’organiser. Ceux qui sont aux avant-postes et à l’avant-garde du journalisme sont des individus dont on ne verra jamais les articles. Mais quelle est cette profession où on ne voit pas les vrais professionnels ? Ils sont représentés par ceux qu’ils ne reconnaissent pas. C’est le problème de la commission de délivrance de la carte de presse. Aucun journaliste sérieux ne peut faire un dossier pour demander la carte de presse. Le ministre de la Communication vient de renouveler les membres de la commission, mais ce n’était pas le problème à résoudre. Doivent y siéger des gens qui ont la reconnaissance de la profession.

L’autre problème est l’image de la profession qui prend forcément un sérieux coup. Quand on parle des journalistes au Cameroun, c’est en termes de dérives : on écrit n’importe quoi, sans aucun respect de la vie privée, ni des règles déontologiques. C’est l’ensemble de la profession des journalistes qui prend un coup, les vrais, les faux, les vrais-faux et les faux-vrais. On n’arrive pas à dire qui doit être journaliste. Tout le monde peut se proclamer journaliste le matin et faire autre chose l’après-midi.

 

AE : A qui la faute de tout ce flou ? A la profession ou aux pouvoirs publics ?

NàB : Tout le monde a sa part de responsabilité. Il y a les professionnels. S’ils se regroupaient et donnaient un avis au sein par exemple de l’Union des journalistes du Cameroun, l’Etat n’aurait jamais ignoré cette organisation. Mon expérience comme dirigeant de l’Ujc a été de constater que les journalistes aiment aller à toutes sortes de réunions pour les couvrir, disent-ils. Mais si vous les appelez en réunion, ils ne viennent pas. L’Ujc a organisé des réunions à Yaoundé, la capitale, qui est une forte place du journalisme au Cameroun, pourtant moins de 50 personnes sont venues. Les journalistes ne s’intéressent même pas à leur propre profession. C’est compréhensible car, un journaliste qui a passé toute sa carrière dans un média privé, ne peut même pas aspirer à une pension retraite.

L’Etat est également responsable, car c’est lui qui prend les lois. C’est l’Etat qui doit réglementer la profession, comme il a réglementé dans les autres secteurs. Il revient à l’Etat de faire une loi permettant que la création d’un média s’adosse sur une entreprise de presse, au vrai sens du terme. Cela doit être une exigence. L’environnement économique doit être vraiment assaini et bien réglementé.

 

AE : A qui profite le crime ?

Le crime profite forcément à ceux qui peuvent entrer dans la profession le matin et repartir le soir avec un petit butin. Il profite également à ceux qui veulent se donner une image de journaliste alors qu’ils ne le sont pas. Les pouvoirs publics gagnent en instrumentalisant la presse. Au Cameroun, dès qu’un haut responsable est mis en cause dans une presse, le lendemain une autre presse prend immédiatement sa défense. Peut-être que l’Etat en tant qu’institution ne gagne rien, mais les acteurs de l’Etat gagnent, car chaque ministre, chaque directeur général a ses journalistes, chacun a sa presse. Ce n’est pas l’Etat en tant qu’institution qui encourage ça, mais ce sont les représentants de l’Etat.

 

AE : L’Etat peut-il réguler la presse sans qu’il n’y ait des abus ?

Faisons toujours le distinguo entre l’Etat comme institution et ceux qui le représentent. C’est souvent parfois pour des intérêts privés que l’on fait dire ou fait faire à l’Etat un certain nombre de choses. Au fond, l’Etat ne gagne rien à avoir une presse faible, qui dit n’importe quoi, fait n’importe quoi, ne respecte pas la moindre déontologie professionnelle. Ce ne sont que les individus qui y gagnent. Autant les individus en profitent dans la profession, autant en face les représentants de l’Etat en profitent. A l’inverse, l’Etat comme institution et le journalisme comme profession perdent.

Le problème actuel de la régulation c’est qu’elle a plusieurs têtes. Il y a le Conseil national de la communication (Cnc) et les administrations publiques, notamment le ministère de la Communication pour la police administrative de l’audiovisuel, et le ministère de l’Administration territoriale pour la police administrative de la presse écrite. Le Cnc, semble-t-il, travaille sur l’ensemble de la presse, mais cet organe a été débouté par le tribunal chaque fois qu’il a tenté de sanctionner un média ou un responsable de média. En réalité, rien n’a changé, malgré le décret de 2012 qu’on avait célébré comme donnant des pouvoirs de sanction au Cnc et faisait évoluer son statut d’organe consultatif.

Par ailleurs, la tâche est bien ardue pour le pauvre Cnc qui doit considérer tous ceux qui se considèrent comme journalistes, même les mercenaires. Il faut observer que les dérives sont presque toujours commises par une certaine presse qui n’en est pas une en réalité. Naturellement, les tentatives de sanction du Cnc sont presque toujours dirigées vers cette même presse, même si des médias considérés comme sérieux ont comparu devant le Cnc. Maintenant, cet organe gagnera peut-être en crédibilité le jour où il sanctionnera aussi les médias d’Etat pour leurs fautes, notamment la Crtv et Cameroon Tribune.

Toutefois, la presse ne doit pas contester la régulation juste pour la contestation, car la régulation n’exclut pas l’autorégulation. Les journalistes doivent s’asseoir, reprendre leur métier en main, dire ce qu’on y fait et ce qu’on n’y fait pas. La profession doit avoir son tribunal des pairs qui soit capable de rappeler à l’ordre ceux qui sortent des canons du métier.

 

AE : Pourquoi concluez-vous qu’en matière de journalisme au Cameroun, il n’existe pas de profession mais des pratiques dites journalistiques ?

Qu’est-ce qu’on mettrait dans une profession où tout le monde peut arriver et que chacun pratique comme bon lui semble ? Pour déterminer qui est journaliste, il vaut mieux interroger les pratiques, c’est-à-dire chercher à voir ce que chacun fait au quotidien, et à quoi il s’occupe chaque jour. Vous verrez qu’il y a là dedans des journalistes et il y a autre chose. En conclusion, nous avons pu identifier trois identités du journaliste au Cameroun. Une identité d’occupation, c’est-à-dire ce à quoi les gens s’occupent au quotidien. L’identité d’acteur renvoie à ce que les gens font chaque jour et comment ils participent à la construction de leur identité de journaliste. Enfin, l’identité des territoires est le lieu ou le territoire de travail. Le territoire ici n’est pas seulement géographique, c’est le média dans lequel il travaille, la salle de rédaction où il se rend chaque jour.

 

AE : Est-ce l’observation des pratiques multiples dans le journalisme qui vous conduit à parler d’un journaliste camerounais et africain ?

Je ne fais pas de modèle du journaliste camerounais et africain, mais j’observe chez nous des pratiques que l’on ne voit pas si souvent ailleurs. Au Cameroun et en Afrique en général, le journaliste se laisse parfois manipuler. Si vous savez qu’on vous manipule et vous continuez d’accepter, ça devient de la connivence et vous y gagnez quelque chose. Au Cameroun, il y a des procès de journalistes tous les jours, les gens se plaignent tous les jours des pratiques. Aujourd’hui, le monde est devenu un grand village. Nous avons accès aux médias d’ailleurs que nous aimons regarder, écouter et lire. Les journalistes camerounais n’ont pas à réinventer le journalisme, il leur suffit de regarder ce qui se fait ailleurs.

 

Propos recueillis par Assongmo Necdem

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