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Le rapport HRW 2014 sur la République centrafricaine

  • Date de création: 25 janvier 2014 18:32

(Agence Ecofin) - Le 24 mars 2013, une coalition rebelle connue sous le nom de Séléka a pris le contrôle de Bangui, la capitale de la République centrafricaine (RCA), contraignant l’ancien président François Bozizé à prendre la fuite. Un gouvernement de transition a été instauré, et Michel Djotodia a été officiellement nommé président par intérim en avril. De nouvelles élections étaient prévues pour début 2015.

Les rebelles de la Séléka – qui signifie « alliance » en sango, la langue nationale – se sont rendus responsables de violations généralisées des droits humains, et ont notam- ment tué des civils de façon indiscriminée. Ces meurtres, commis à Bangui mais égale- ment hors de la capitale, ont souvent été suivi de vols et pillages généralisés, laissant des pans entiers d’une population déjà appauvrie sans toit ni ressources. Michel Djotodia a nié que les combattants de la Séléka aient commis de tels abus, accusant d’abord les partisans de Bozizé, de « faux Séléka » ou encore des bandits d’être responsables des violences. Le 13 septembre, il a dissout la Séléka en tant que groupe. Pourtant, ses membres continuent de tuer en toute impunité, et le gouvernement central ne semble pas contrôler pleinement la Séléka.

Des affrontements ont éclaté fin 2013 entre les anti-balaka (« anti-machette »), des mi- lices armées créées à l’origine par François Bozizé pour combattre le banditisme, et la Séléka. Les violences et l’insécurité ont acquis une dimension sectaire particulièrement inquiétante quand les anti-balaka, majoritairement chrétiens et comptant parmi eux des soldats ayant servi dans les Forces armées centrafricaines (FACA) sous le régime Bozizé, ont attaqué des civils musulmans dans la région de Bossangoa, capitale de la province d’Ouham, en réaction aux exactions commises par la Séléka principalement contre des civils chrétiens.

Cette épouvantable situation sécuritaire a freiné la distribution d’aide humanitaire, et les combattants de la Séléka ont intimidé et harcelé des journalistes et des militants de la société civile. Une force de maintien de la paix sous l’égide de l’Union africaine (UA), la Mission in- ternationale de soutien à la Centrafrique (MISCA-RCA), a sollicité un soutien financier, logistique et technique auprès de la communauté internationale, mais ne disposait au

31 octobre que de 2 589 soldats sur les 3500 requis.

Exactions commises par la Séléka

La Séléka a été créée fin 2012 à partir de trois grandes factions rebelles, originaires principalement du nord de la RCA, une région particulièrement pauvre. Ce groupe réclamait une plus grande ouverture politique, et la fin de la marginalisation du nord du pays, majoritairement musulman. La Séléka intègre des combattants venus du Tchad et du Soudan, et a recruté des enfants soldats.

La Séléka a lancé une offensive en décembre 2012 et rapidement avancé vers la capi- tale, s’emparant des villes situées sur sa route. Un accord de paix avec le gouvernement a été conclu en janvier, mais très vite ignoré par les deux parties quand les rebelles
ont marché sur Bangui, contraignant l’ancien président Bozizé à la fuite. Tout au long
de la route vers la capitale, les membres de la Séléka ont détruit de nombreux villages ruraux, pillé des maisons, et violé des femmes et des jeunes filles.

Après avoir pris le pouvoir, la Séléka a tué de très nombreux civils qui tentaient de fuir les attaques. Dans certains villages, tous les bâtiments existant ont été brûlés au moins en partie. Les destructions se sont souvent accompagnées de pillages, laissant les populations civiles sans la moindre ressource.

De nombreux villageois contraints d’abandonner leurs foyers survivent à présent dans la brousse, dans des conditions extrêmement difficiles. Sans aide humanitaire, beaucoup de gens sont morts des suites de maladies ou de blessures, ou parce qu’ils avaient souffert des éléments. Les agences humanitaires internationales n’ont réussi à apporter qu’une aide limitée, et n’ont pu atteindre que quelques-unes des zones touchées. Les services de santé gouvernementaux et non-gouvernementaux ont été systématiquement la cible d’attaques, et ont été détruits ou fermés.

À Bangui, la Séléka a pillé des quartiers entiers en prenant le contrôle de la ville. Des zones comme Damala, Boy-Rabe, Kasai, et Walingba ont subi des attaques in- cessantes qui ont fait de nombreux morts parmi les civils. Le quartier de Boy-Rabe en particulier a été régulièrement mis à sac par la Séléka. Les représentants du gouvernement ont prétendu qu’il s’agissait là d’opérations de désarmement.

Les combats se sont intensifiés en septembre, autour de Bossangoa, dans le nord. Des centaines de personnes ont été tuées et de nombreux quartiers réduits en cendres. Les attaques des groupes anti-balaka ont ciblé les communautés musulmanes, considérées comme les alliés de la Séléka.

Presque toutes ces exactions ont été perpétrées en toute impunité. Un petit nombre de membres de la Séléka suspectés d’avoir commis de tels abus ont été arrêtés, et des poursuites ont été engagées contre eux, mais le système judiciaire demeure gravement handicapé, et les procès n’avaient pas encore commencé à l’heure où nous écrivons. Le fonctionnement du gouvernement, en particulier dans les zones rurales, a été sérieusement perturbé et limité par le coup d’état, au cours duquel de nombreux bâtiments administratifs ont été détruits.

Réfugiés et personnes déplacées à l’intérieur du pays

La situation des personnes déplacées frôle la catastrophe, du fait de leur accès limité à l’aide humanitaire. En septembre 2013, les Nations Unies ont signalé qu’environ 170 000 personnes avaient fui des combats intenses dans le nord, dans la région de Bossangoa. La plupart de ces gens se sont retrouvés livrés à eux-mêmes dans
la brousse, mais environ 36 000 personnes ont trouvé refuge dans l’enceinte d’une église catholique, ainsi que dans une école locale à Bossangoa. Le nombre de per- sonnes déplacées à l’intérieur du pays s’élève à environ 400 000. Près de 65 000 réfugiés venus de RCA se trouvaient en République démocratique du Congo (RDC) et dans d’autres pays voisins.

Une commission d’enquête

Le 22 mai, une commission d’enquête a été créée par décret présidentiel, avec pour objectif de faire la lumière sur les violations des droits humains commises depuis 2002, et d’identifier les personnes portant la plus grande responsabilité dans ces crimes. La commission, composée de juges, de défenseurs des droits humains, et d’agents de police, est également chargée d’identifier individuellement chaque victime et d’évaluer le niveau de dommages subis en vue d’éventuelles indemnisations.

La commission a d’abord été dans l’impossibilité de faire son travail en raison d’un manque de financements, mais a reçu en septembre une aide technique et des véhi- cules de la part du gouvernement, pour mener ses enquêtes. Certains acteurs de la société civile ont questionné la capacité d’une commission nationale à obtenir des résultats, et ont appelé à la création d’une commission d’enquête internationale.

La Cour pénale internationale

La RCA a reconnu pour la première fois la juridiction de la Cour pénale internationale (CPI) en 2001, quand elle est devenue État partie au Statut de Rome. Le 22 décembre 2004, le gouvernement a franchi une étape supplémentaire et renvoyé la situation du pays devant le procureur de la CPI, après qu’une cour d’appel de Ban- gui ait statué que les tribunaux du pays étaient incapables de traiter efficacement les crimes graves d’envergure internationale. En 2007, la CPI a ouvert une enquête sur les crimes commis pendant la guerre civile de 2002-2003.

L’enquête n’a jusqu’à présent permis de poursuivre qu’une seule personne, Jean-Pierre Bemba Gombo, citoyen congolais et ancien vice-président de la RDC. Bemba et les forces de son Mouvements de libération du Congo ont été invités en RCA en 2002 par Ange-Félix Patassé, alors président du pays, pour l’aider à résister à une tentative de coup d’état menée par Bozizé.

Bemba est actuellement jugé par la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La procureure de la CPI, Fatou Bensouda, continue à suivre les événements qui marquent le pays, et a souligné que sa juridiction pourrait être concernée par des crimes plus récents. Les 22 avril et 7 août, elle a fait des déclarations publiques avertissant les responsables des exactions récentes que leurs crimes pourraient relever de la juridiction de la CPI, et que son bureau enquêterait et poursuivrait les personnes portant la plus grande responsabilité dans les crimes graves, « si nécessaire ».

Forces de maintien de la paix

En mars, alors qu’ils tentaient de protéger le gouvernement de Bozizé, 13 soldats des forces armées sud-africaines (South African Defence Force) ont été tués aux environs de Bangui par les troupes de la Séléka. Ces soldats étaient présents dans le cadre d’un accord bilatéral entre Bozizé et le Président d’Afrique du Sud Jacob Zuma.

La Force multinationale des États d’Afrique centrale (FOMAC), des soldats de main- tien de la paix de la région déployés en RCA grâce à un accord signé fin 2007 avec la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC), dans le cadre
de la Mission de consolidation de la paix en République centrafricaine (MICOPAX), se sont également montrés incapables de stopper la Séléka. En avril, la CEEAC a décidé de déployer 2000 soldats supplémentaires pour appuyer la MICOPAX.

En août, la MISCA-RCA, dirigée par l’Union africaine, a pris la relève de la MICOPAX. Des contingents actuellement déjà en service au sein de la MICOPAX composeront l’essentiel des 3500 soldats requis pour former cette force d’interventions. Le mandat de la MISCA-RCA inclut la protection des civils et la création des conditions nécessaires à la délivrance d’aide humanitaire. Au 31 octobre 2013, la MISCA-CAR disposait approximativement de 2 589 soldats de maintien de la paix sur le terrain, sur les 3 500 requis.

Entretemps, des soldats français conservaient le contrôle de l’aéroport international de Bangui.

Principaux acteurs internationaux

Les réactions internationales à la prise de pouvoir de la Séléka sont d’abord venues de la région. En décembre 2012, la CEEAC a appelé la Séléka à stopper son avancée sur Bangui. En janvier, un accord de partage du pouvoir négocié par la CEEAC a été signé entre la Séléka et le gouvernement de Bozizé, mais les deux parties l’ont ignoré. Quand la Séléka a pris Bangui en mars, la CEEAC a concentré ses efforts à appuyer et renforcer la présence de la FOMAC.

Ivan Simonovic, le Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme, a visité la RCA du 29 juillet au 2 août. Dans un rapport du 14 août au Conseil de sécurité des Nations Unies, il a affirmé que le conflit actuel « était marqué par un niveau de vio- lence, de pillage et de destruction sans précédent » et que la Séléka commettait les plus « graves violations des droits humains et du droit humanitaire international ».

En octobre, le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité une résolution qui condamne fermement les violations généralisées des droits humains et du droit humanitaire, en particulier par des « éléments de la Séléka », renforce le mandat des Nations Unies pour suivre et rendre compte des atteintes aux droits humains sur le terrain, et exige un accès sécurisé et libre pour l’aide humanitaire.

Suite à une visite en RCA en novembre, John Ging, directeur des opérations du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), a déclaré craindre « qu’on ne soit en train de semer les germes d’un génocide ».

Mi-novembre, le Secrétaire général de l’ONU a présenté au Conseil de sécurité différen- tes options envisageables pour apporter un soutien international aux forces africaines de maintien de la paix, et peut-être créer une force de maintien de la paix de l’ONU. Le Conseil de sécurité devait adopter une nouvelle résolution vers la fin de l’année.

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